L'adolescent et la mort.
Comme beaucoup d’adolescents, dans ma période onze-quatorze ans pour être précis, j’ai pensé moi aussi au suicide, un suicide un peu particulier puisqu’en aucun cas je ne voulais mourir. Je m’imaginais punir la terre entière en disparaissant (je ne sais où) et en réapparaissant au bout d’un temps raisonnable, suffisant pour ne pas trop manquer mes cours au lycée. C’était le plus souvent à l’occasion d’amour non partagés. Je tombais amoureux à répétition jusqu’à paraitre volage aux yeux des filles objets de ma passion. Car passion il y avait, j’étais prêt à toutes les folies, y compris celles d’escalader la façade de la maison qui les abritait pour apparaitre, hilare, en leur provoquant une intense frayeur, au niveau de leur fenêtre en général au premier étage. Je n’étais pas assez cinglé pour grimper jusqu’au second.
Plus tard, adolescent physiquement normal quoiqu’un peu grassouillet, vers mes quinze-seize ans, j’ai frôlé une pulsion de mort beaucoup moins superficielle et enfantine. Cela m’a traversé l’esprit avec la sauvagerie d’un coup de poignard. C’était un soir d’automne pluvieux alors que j’errais sur un boulevard planté de marronniers mélancoliques qui perdaient leurs feuilles, l’ancien chemin de ronde des remparts de la ville hauts d’une dizaine de mètres. Je venais de découvrir que je n’avais personne, pas d’ami, pas d’amour juvénile, pas d’envie prégnante, rien qui me rattachait à l’existence. La solitude la plus absolue. Mes parents atteint d’un besoin subit de déménagement m’avaient éloigné de mes potes, filles et garçons, du quartier Saint-Roch pour aller nicher près de la gare SNCF. Pourtant entre les deux quartier la distance n’était pas grande. En vérité, et je ne m’en rendais pas compte, mes amis d’enfance comme moi-même étions en train de changer de mentalité et de comportement. Comme les oisillons d’une même nichée nous nous apprêtions à prendre notre envol chacun de notre côté.
Les récents travaux des psychologues du comportement affirment que l’éducation des enfants se fait d’abord à plus de cinquante pour cent par ses copains - la bande qu’il fréquente-, le reste étant partagé entre la famille étendue et l’école. Les parents au sens le plus resserré, le père et la mère, n’héritent que de cinq petits pour cent. Qui irait se confier à sa mère, une femme d’un autre temps à l’esprit essentiellement pratique ? Ou à son père, et dans mon cas à mon beau-père, un individu renfrogné passionné par la pêche à la ligne et sa collection de timbre-poste ?
On en déduira que je n’avais que peu de discussions avec eux. Nous nous voyions à l’heure des repas, le reste du temps j’étais dehors. Adolescent d’aujourd’hui, je n’aurais que faire d’avoir ou pas de copains, c’est derrière mon téléphone portable que je ferais mon éducation (1). C’est peu. Ce n’est pas assez. Même un club de sport n’offre pas la richesse et la variété d’une bande de gamins liés par des idées communes et une entraide forte. Ce que n’offre ni un écran ni même une équipe de foot dirigée par les adultes.
Pour revenir à ce soir d’automne pluvieux où j’errais sur le boulevard désert, me sentant seul, absolument seul et dépourvu du moindre amour humain à qui me raccrocher, du moins le croyais-je, j’ai pensé sérieusement à mourir en sautant dans le vide. Ce qui a empêché mon geste ? Une épicerie encore ouverte, il n’était pas loin de vingt heures, qui me vendit une fiasque de rhum que je bus assis sur un banc public comme un vulgaire clochard. Je croyais en un élixir d’oubli, ce fut seulement ma première cuite… Puis la vie a repris son cours et je me suis fait de nouveaux amis.
Jean-Bernard Papi ©
(1) Y compris la pire, drogue, pornographie etc.
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