Jean-Bernard Papi, romancier, essayiste, nouvelliste et poète

                                        Il n'y a de recette de jouvence que le rire.
                       Partageons nos plaisirs. Vous lisez ! J'écris !      
                              

                                  Textes courts

                                               Récits et souvenirs écrit entre 1983 et 2019                                  
 

                                          En revenant de la remise des prix...   

   


                                      
  C'était en 1991, mon premier ou deuxième concours littéraire, plutôt le premier réflexion faite. Alléché par une médaille en bronze "pour l'ensemble de mon œuvre", je m'étais précipité à Nogent-sur-Oise. La moitié de la France à traverser en automobile, emporté par le zèle et l'enthousiasme d'un dévot qu'une Vierge faiseuse de miracles réclamerait près d'elle. Imaginez, dans le réfectoire sans grâces d'un lycée technique, plus de cinq cents personnes venues de toutes les régions de France, de la Suisse et de la Belgique. Toutes, souvent d'un âge estimable, attendaient d'être récompensées en bavardant avec l'insouciance heureuse de ces écoliers que l'on réunissait dans le temps, pour des tableaux d'honneur, en présence du sous-préfet et de l'inspecteur d'académie.
  Car des prix il y en avait. Autant que l'imagination sans frein des organisateurs avaient pu en créer. Des World Cup grandes et petites, des Médailles d'or, d'argent et de bronze à foison, des Prix Machin et Chose, avec l'appui, certifiait-on, de l'UNESCO, de l'ONU, des Droits de l'homme, des ONG. Attribués en poésie de toutes catégories, en prose de toutes espèces, en peinture de toutes les couleurs, en sculpture, en dessin, en gravure et patin-couffin. Une immense table ployait sous les coupes et les médailles. On imaginait sans peine le nombre respectable de magasins qu'il avait fallu dévaliser pour les réunir. On distribuait aussi des diplômes, jaunes et raides comme des peaux de tambour, dont le tas avait dû affoler le malheureux ou la malheureuse chargée de les rédiger. C'est que tout le monde y avait droit selon une hiérarchie qui n'oubliait personne, échelonnée du premier au dixième, en passant par l'excellence et le hors pair.
   Jean-Marie T. le président du jury, gros homme jovial, juché sur une estrade, officiait avec la voix nette et sans faiblesse d'un huissier d'assise. La distribution dura trois bonnes heures, sans pause ni entracte au grand désespoire de la sous-préfète et du maire président de la chose. J'en vis revenir de l'estrade plus d'un avec les bras chargés de coupes, les diplômes roulés sous le bras et les poches pleines de médailles. Et fiers avec ça, sous des applaudissements à rendre jaloux Johnny Halliday. Elles étaient pourtant comprises dans le prix, fort élevé de l'inscription, ces belles médailles et ces coupes rutilantes. Vanité, ah vanité de la plume..! Se trouver une fois dans la peau d'un Hugo, d'un Maupassant, d'un prix Nobel ! On remit même ce jour là une décoration des "Arts et Poésie", ruban jaunâtre inconnu du Journal officiel et tout à fait propre à provoquer la grogne du grand chancelier de la Légion d'Honneur garant de l'orthodoxie en matière de décorations. Mais je n'avais encore rien vu. Quand le dernier d'entre nous enfin reçut son lot, vint le tour du Président. Il était primé par les membres du jury à l'occasion d'une exposition de peinture itinérante. Dans chaque ville, il avait obtenu la récompense suprême et pas n'importe quoi : une Médaille de platine sertie de diamants ! Quatorze ou quinze médailles, que personne ne vit, hélas ! Elles auraient pourtant joliment craché leurs feux ces merveilles diamantées dans notre réfectoire minable, comme autant de lasers dans une guinguette. À chaque annonce, l'homme se tassait sous le poids de la gloire et gémissait : "C'est trop, ah, vraiment c'est trop !..." À la dernière, permettez-moi encore d'en rire, ce bon gros homme joufflu éclata en sanglots et courut se cacher dans les cuisines. 
   Aujourd'hui je ris de ce gros homme. Je devrais plutôt verser une larme devant tant d'efforts pour atteindre une gloire qui se dérobe et lui montre son cul en ricanant. Combien d'auteurs ont rêvé devant leur premier manuscrit, leur première oeuvre éditée, du Goncourt, du Renaudot... Combien ont décroché précipitamment leur téléphone le coeur battant, prêt à défaillir en espérant une réponse favorable d'un éditeur, n'importe lequel, pour entendre la voix anonyme d'un marchand de savon ou pire d'un escroc du bout du monde. Combien se sont vu découragés par les lettres de refus des éditeurs qui les trois-quarts du temps n'ont pas ouvert leur si beau et si parfait manuscrit. Alors, pitié pour le gros homme.                                                      

©Jean-Bernard Papi (in Poésie Première & Saintonge Littéraire n°81-2007)


                                                                                                                                                                                            
                                               
à suivre,