Dehors,le vent qui vient de la plaine du nord s'est levé, comme tous les jours à dix-neuf heures dix, avec son chargement de pierrailles et de mauvaises odeurs. De temps à autre, il projette du sable contre les fenêtres et les têtes se tournent vers ce crépitement pourtant habituel. Le compte à rebours est maintenant terminé et les noms des admis commencent à défiler. Le mien n'y est pas. Je me retiens de pleurer. On entend des cris dans la salle. Quelques exclamations de joie mais surtout des clameurs de désespoir. Certains se cognent la tête contre la table ou contre l'écran de l'ordinateur, d'autres se jettent contre les murs, tête la première. Par bonheur nous avons les os du crâne épais. J'interroge la machine pour confirmation. Elle confirme en effet mon échec et me donne les notes obtenues à chaque épreuve. Mon seau et mon vélo ne m'ont pas rapporté ce que j'escomptais, même pas la moyenne. J'aurais peut-être dû remplir complètement le seau. De toute façon je suis recalé et, n’en pouvant plus de me retenir, j'éclate en sanglots.
Les kapos, des filles costaudes comme nous, roses de peau et plutôt jolies, nous ont séparés en plusieurs groupes à peu près égaux. J’appartiens au groupe de ceux qui vont travailler de leurs mains. Le deuxième groupe est formé de ceux qui vont travailler dans les laboratoires de la Grande-Maison. Un troisième groupe, très nombreux, est dirigé d’emblée vers les douches et la destruction des parasites. Il s’agit probablement de gens qui ne se lavent jamais, ça existe parait-il. Des gens dont l’avenir est mal connu, c’est le rouquin qui me l’a dit, celui qui était derrière moi et qui n'a pas su grimper sur le vélo. J'appartiens au sous-chantier 9g.025, je loge dans le baraquement G47 avec le rouquin lequel se prénomme Olivier. Moi, comme je l’ai dit plus haut, c'est Platon, un beau prénom je trouve. Le bâtiment G47 est une sorte de haute tour à l'intérieur de laquelle se trouvent des alvéoles desservies par un escalier central en colimaçon et de nombreux ascenseurs. Chaque alvéole, en réalité une chambre pour deux, comprend deux lits escamotables, un distributeur de nourriture escamotable, un système de renouvellement d'air, un appareil de nettoyage des corps et une armoire escamotable. Nous disposons aussi d'un ordinateur quantique individuel. Le mien est en panne mais j'ai bon espoir de le voir réparé bientôt. En attendant je prends des notes que j'enverrai à ma famille, sur un carnet électronique.