Jean-Bernard Papi, romancier, essayiste, nouvelliste et poète

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Bougon (79)
Hypothèses sur les    Tumulus et les    trépanations.

           
 
 
 
   Le très beau musée préhistorique de Bougon, près de Poitiers, propose deux énigmes à l'imagination du visiteur : le rôle et la fonction des tumulus et l'objectif des trépanations observées sur plusieurs crânes découverts dans ces tumulus (voir "Guide du musée des tumulus de Bougon"). Faute de certitudes scientifiques, chacun, sur ces sujets, est libre de formuler ses propres hypothèses. Ce sont donc les miennes que je livre.
 
  Intéressons-nous d'abord aux tumulus. Le tumulus peut se définir comme un dolmen recouvert de terre ; couvert de pierres sèches il porte le nom de cairn. On apprend que les dolmens, qu'ils soient en bois, il y en eut dit-on, ou en pierre, ne furent jamais construits pour eux-mêmes mais pour servir d'armature aux tumulus et aux cairns. Ceux de Bougon, au nombre de cinq, ont été bâtis aux Vème et IVème millénaire avant JC et occupés jusqu'au milieu du III millénaire avant JC par les hommes de la période néolithique. À cette époque l'agriculture et la domestication des animaux sont des faits existants depuis le Xème millénaire avant notre ère (environ) dans l'Europe d'alors avec pour corollaire une forte poussée démographique. Le Guide du musée des tumulus de Bougon leur attribue un rôle de sépulture. Selon les squelettes découverts sur place, les bâtisseurs étaient plutôt de petite taille : 1.65 m pour les hommes, 1.55 m pour les femmes.


Tumulus A
    Bougon n'est cependant pas unique. Ce n'est qu'un site mégalithique parmi d'autres, lesquels s'échelonnent du nord de l'Irlande à l'Espagne en longeant la façade atlantique, pour ne citer que cette partie de l'Europe. Au temps de cette civilisation des mégalithes, les villes de Jéricho et Catal Huyük existaient depuis 3000 ans et possédaient déjà une organisation urbaine complexe. Nos Néandertaliens de Bougon, par rapport aux habitants de ces villes, ont apparemment un temps de retard. Ils polissent néanmoins leurs outils de pierre, possèdent probablement des chèvres domestiques, plantent et récoltent des graines, construisent des cabanes de bonne taille, extraient la pierre à l'aide de pic en corne de cerf etc. Et ils tentent à grand renfort de menhirs de séquencer l'avenir.
   L'avenir, pour eux, n'est pas de savoir ce qu'il adviendra d'Untel ou d'un autre, s'il sera riche, en bonne santé et heureux en amour. Ce qu'ils cherchent à connaître, c'est le moment où il faudra planter ou chasser, le moment où il faudra constituer les stocks de nourriture pour traverser l'hiver, l'époque où le gel empêchera la pêche dans l'étang ou la rivière, quand les migrations saisonnières d'oiseaux ou de poissons auront lieu etc. D'où les pierres levées, pour beaucoup disparues aujourd'hui, dont on suppose, depuis les travaux de Hawkins sur Stonehenge (Nature du 27 juin 64), qu'ils permettaient de repérer les "points fixes" que sont les solstices d'été et d'hiver, de représenter concrètement les étapes de l'année lunaire et solaire. Reportons-nous aujourd'hui aux « bans de vendange », survivance possible de ces temps lointains où le shaman annonçait que le temps sacré était venu pour la récolte. Ce que perfectionneront en calendriers les "devins-astronomes" Chaldéens et Babyloniens. La tribu la plus isolée, pour peu qu'elle dresse son menhir, même de petite taille pouvait en suivant le mouvement de son ombre et sa longueur, deviner quelques "dates" importantes de l'année. Car le pire des événements pouvant subvenir, faute de l’avoir prévu, était la disette.

Tumulus E
   Revenons aux tumulus. Ils font de prime abord et dès l'entrée penser à ces glacières que l'on rencontre dans les châteaux, près des vieux villages et dans de nombreuses grandes fermes. La Revue de la Société d'Etudes Folkloriques du Centre-Ouest a consacré un article à ces glacières dans son numéro de mars-avril 1991. Elles sont de grande tailles 3mx4mx2.5m, ont une galerie d'accès parfois coudée et certaines sont enfouies profondément dans le sol. "Elles sont, nous dit l'auteur de l'article, destinées à conserver, jusqu'en été, la glace récoltée en hiver". Et si je veux, moi que ces glacières servent aussi à conserver de la viande et que les tumulus soient des glacières bâties par les hommes du néolithique. Une surélévation étant plus abordable avec leur outillage que le creusement d'une cave. Pour plusieurs centaines de résidents, ou groupés pour plusieurs villages, l'opération était rentable. La forme extérieure du tumulus, avec ses redans ou saillies pour retenir la neige et sa couche de terre de plusieurs mètres d'épaisseur permettait de maintenir un froid polaire, même en été. Pour peu que la neige ou la glace de l'hiver soit transportée à l'intérieur à temps, on pouvait maintenir le zéro degré durant de longs mois. 
   Si l'on se souvient des famines qui ont ravagé nos campagnes tout au long de notre histoire (Lire : "Les Fluctuations du climat" d'Emmanuel Leroy-Ladurie), au moyen-âge, et des difficultés qu'il y avait alors de conserver les aliments et la viande en particulier, personne ne s'étonnera que ces hommes s'en soient, eux aussi, préoccupés. Justement, le néolithique correspond à une période de relative pauvreté en gibier. Celui-ci ayant reflué vers le nord à la suite d'un "réchauffement" climatique. Pour conserver de la viande afin de résister à la disette il fallait que la chasse soit fructueuse, sans aucun doute. Mais il y a une autre manière de se procurer de la viande lorsque la chasse est mauvaise ou que les conditions locales sont désastreuses en raison de maladies, de guerres etc. : c'est l'anthropophagie. Trop de débris humains, avec des traces de décharnement et d'os broyés intentionnellement, ont été découverts autour des aires de repas des hommes de cette période, pour qu'il n'y ait pas une presque certitude à ce sujet. Ces gens étaient anthropophages (Lire : "La préhistoire vérités et légendes" d'Eric Pincas (2020)). D'ailleurs pourquoi en douter puisque des tribus anthropophages africaines ou de Nouvelle Guinée, anthropophagie à but cultuel ou nourricier, ont subsistées jusqu'à notre époque et que l'anthropophagie refait surface dès que, pour une raison ou une autre, l'être humain est affamé au point que sa survie en soit compromise. (1) Cependant la viande de l'homme est très peu calorifique 125.800 calories comparé à l'auroch 980.000 calories, on peut alors supposer que la viande humaine était consommée en privilégiant ce qui est le plus nourrissant comme la moelle des os.


Tumulus FO
   Culte des morts, sépulture, lit-on dans les livres à propos des tumulus. Mise au frigo des défunts pour une consommation ultérieure me semble-t-il plus réaliste, même si un culte y était associé. Ce qui explique le peu d'ossements qui y ont été découverts et le fait que les squelettes soient assez souvent incomplets. Beaucoup trop de crânes notamment, un met plutôt indigeste hors cerveau. Défunts naturels ou défunts provoqués ? Probablement naturels avant tout, sauf dans le cas où il fallait se débarrasser des bouches inutiles comme celles des prisonniers après une razzia. Abandonnés après un millénaire d'utilisation, les tumulus seront "réactivés" plusieurs fois par la suite, vraisemblablement en concomitance avec l'occupation de la région et en fonctions de conditions de vie plus ou moins difficiles. Certains même ne trouvant plus l'entrée, (à quelle époque ?) percèrent le toit (3 mètres) pour accéder à la chambre, ce qui parait un bien gros effort pour ensevelir quelqu'un (cas du tumulus A) sauf si on est à la recherche d'un trésor. Il faut, il me semble aussi, avoir atteint une certaine aisance alimentaire pour se préoccuper d'éternité et de culte à rendre aux morts. Sauf si de remplir le garde manger en grande cérémonie peut passer pour une religion. Et les vases et les haches trouvés à l'intérieur des tumulus, et le crochet sculpté sur l'un des piliers du tumulus F2 ? Hélas pour les tenants du culte des morts et des offrandes "votives", nous ne sommes, à mon avis, qu'en présence de la chambre froide du boucher et de son outillage.
 
  Passons maintenant aux crânes trépanés dont aucun archéologue n'ose avancer d'explication sauf à se demander s'il s'agit de pratique religieuse ou médicale pour dépressuriser la boîte cranienne (page 143 du Guide du musée des tumulus de Bougon) ou extraire un caillot suite à un choc etc. Tout de suite examinons l'hypothèse "médicale". Précisons, avant tout, que le site de Bougon n'a pas le monopole des trépanations. On a découvert des crânes trépanés dans le midi de la France, dans des hypogées (sépultures souterraines) de la Marne et également  dans l'Altaï. Mais le musée expose un crâne triplement trépané et un crâne doublement trépané. « L'os est soigneusement raclé, 
et non découpé, jusqu'au cerveau. La ré-ossification de la plaie montre que le patient à survécu plus de dix ans... » nous dit le Guide à propos du crâne triplement trépané. Il précise aussi que l'un des trépanés a survécu jusqu'à 60 ans (la moyenne d'âge étant vraisemblablement à cette époque de 30 à 40 ans). Sauf, comme l'avance un ami médecin, à décompresser le cerveau pour guérir des migraines, on ne voit pas très bien des chirurgiens du néolithique opérer au silex un blessé de la calotte crânienne. D'autant que l'on ne relève sur les crânes aucune trace d'enfoncement dû à un choc. On mourrait pour bien moins au temps du célèbre Ambroise Paré (1510-1590) et « une fracture ouverte, écrit ce dernier, était cause qu'il fallait couper le membre et que de couper était cause de la mort du blessé ».
  Revenons à la nécessité de prévoir les dates importantes de l'année. Elles sont d'autant plus importantes que ces peuplades ont abandonné le nomadisme, et donc ne sont plus soumises au rythme des animaux qu'ils suivent, mais à celui de l'agriculture naissante estimée vers 10.000 ans av JC. Prévoir, c'est le rôle du shaman. « Le sens de toute magie (à la préhistoire), dit Kurt Linder (La chasse préhistorique- Payot) étant la domination des forces secrètes de la nature ». Transes et visions accréditent le shaman durant ce qu'il est convenu d'appeler "une conscience altérée" durant laquelle il se vante de se mêler aux esprits des animaux. Or certaines lésions du cerveau, en particulier du lobe frontal ou du système limbique, provoquent des visions, des états seconds, des crises épileptiques ou transforment l'individu en automate obéissant. Lire à ce sujet  "L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau" du neuropsychiatre Oliver Sacks (Seuil). Nul doute qu'un shaman averti puisse utiliser les « dons » d'un individu dont il aura provoqué, préalablement les lésions cérébrales ad-hoc. Voire même à agir sur lui-même. Rien de plus facile, une fois le cerveau découvert, les orifices pratiqués ont environ trois ou quatre centimètres de diamètre, que de plonger une longue aiguille d'os. Et de recommencer plus tard si le médium s'est révélé excellent une première fois.
  Ainsi, cette interminable civilisation, pauvre en gravures et en symboles, dont la principale occupation était de se nourrir, se reproduire et se battre (2), ne se révèle en rien comme un âge d'or. Bien au contraire, le plus fort seul y survivait. Le professeur à Harvard 
Steven Pinker (in "La Part d'ange en nous". Les Arènes édit.) observe que les hommes violents sont souvent mieux adaptés à l'évolution que les autres. Et de cela, nous en avons toujours eu la prescience. Voici donc ce que je crois être les hommes de Bougon et leurs tumulus où certains voient des cathédrales, préoccupés qu'ils sont de se fournir en ancêtres ayant bonne presse. Pour moi, la vérité est tout autre. Mais qui peut se vanter d'avoir raison ?


Nota : Les photos de crânes figurant dans le présent article n'appartiennet pas au musée de Bougon
(1)Le zoologiste américain Bill Schutt dans son livre "Cannibalism, a perfectly natural history" (Algonquin Books) retrace l'histoire de l'antropophagie à travers les siècles et les espèces et démontre que tous les vertébrés, y compris l'homme y ont eu recours et qu'il a été pratiqué aussi pour d'autres raisons que la survie.
(2)L'anthropologue américain Napoléon A. Chagnon (1938-2019) a démontré, après étude de la tribu amazonienne des Yanomamö (ou Yanomami), confirmé depuis par d'autres études de tribus amazoniennes, que ces tribus primitives, patrilinéaires et polygames, étaient violentes et féroces au point de tuer de 30 à 60% des hommes d'une tribu adverse au cours de cérémonies rituelles ou de razzias locales, avant tout pour la possession de "l'outil de reproduction" que sont les femmes. Ainsi chez les Yanomamö les tueurs ont un succès certain auprès de celles-ci. Ce que confirme Jared Diamond in "Le monde jusqu'à hier" dans son étude des populations primitives de Nouvelle Guinée. On est très loin du bon et idéal sauvage de J.J Rousseau.

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