Jean-Bernard Papi, romancier, essayiste, nouvelliste et poète

                                        Il n'y a de recette de jouvence que le rire.
                       Partageons nos plaisirs. Vous lisez ! J'écris !      

 
  Petite histoire de la prostitution en France.

                                                               





                                              
 
 

                 




 
   Évitons de considérer la prostitution comme le plus vieux métier du monde, le shaman, ou le sorcier, exercèrent leurs talents, me semble-t-il, bien antérieurement. Le métier de la prostitution, car métier il y a dès lors qu’il y a échange, nourrir la prostituée et fournir un délassement au client, existe tout de même depuis fort longtemps. Il est de bon ton aujourd’hui de parler de la prostituée comme l’esclave d’un métier dangereux et peu ragoûtant (?). Il en est d’autres et de pires. Le vidangeur, par exemple ? Et le tueur des abattoirs ?  Et pourtant ils font leur boulot sans s’attirer l’opprobre ou le mépris populaire. De tout temps la prostitution fut attaquée, plus ou moins vigoureusement par les moralistes et admise, si ce n’est encouragée, par les hygiénistes.

Morale et prostitution :
  « La morale est la science des lois naturelles », disait Diderot. J’ajouterai qu’elle est censée définir ce qui est le Bien et ce qui est le Mal selon la culture, ou l'idéologie, du moment. Par exemple, en occident selon une règle morale commune, la femme est dite l’égale de l’homme. Ce qui n’a pas toujours été perçu ainsi et ne l’est pas dans de nombreux états musulmans aujourd'hui. L’État français a repris cette opinion pour l’encadrer dans une série de lois rendant cette égalité intangible. Les moralistes, en se fondant sur le sacré, l’idéologie ou la tradition, prônent donc, avec plus ou moins de rigueur -ou d'irrationnel-, l’application aux populations de ce qu’ils considèrent comme étant le Bien. Ce qui a conduit a de redoutables excès et déviances à travers les âges car le bonheur des hommes, moteur et bien-fondé de leurs exigences, n’était pas toujours au rendez-vous. L'hygiénisme, de son côté, est un ensemble de théories politiques et sociales dont le principe est de concevoir les règles de préservation de la santé publique. Les hygiénistes considèrent, entre autres choses, que la morale ne doit pas s’appliquer au détriment de la santé physique et mentale des citoyens.
  Cible de la colère des moralistes, tantôt légitimée, tantôt pourchassée, la prostituée est passée du statut de servante des dieux dans l’antiquité à celui de pauvre fille mise au ban de la société au XIX et XXème siècle. Dans l'histoire profonde, le monde antique et en particulier la Grèce et Rome, eurent une influence capitale qui rejaillit sur notre monde contemporain, il est donc naturel d'examiner ce qu'était la prostitution avant la chrétienté.

La servante des dieux :
  Epousailles mystiques en Mésopotamie. Des femmes attachées au temple d’Ishtar, -la prostituée sacrée déesse de la fertilité-, l’honoraient en s'accouplant avec tout le monde. Hérodote prétendait que les femmes mariées de Babylone devaient obligatoirement coucher avec un étranger à la cité, une fois au moins dans leur vie moyennant rétribution, ce qui probablement favorisait le mélange des gènes dans une population plus ou moins fermée. Idée reprise par Strabon mais en Arménie.
  À l’époque romaine les prostitués, hommes et femmes, étaient avant tout recrutés parmi les esclaves qui gagnaient ainsi leur quotidien dans des "lupanars", lieux consacrés à l’amour vénal. Très peu appartenaient à la classe des hommes libres, dans ce cas c'étaient des courtisans et courtisanes chargés d’animer les fêtes et les banquets coûteux. En Inde il existait, raconte Marco Polo, une caste de femmes, les devadasi (servantes de la divinité), qui depuis des temps immémoriaux dansaient nues dans le but de réconcilier les dieux entre eux, gage de fertilité et de bonnes moissons. Les Anglais mirent fin à ces pratiques sans toutefois parvenir à ce qu’elles disparaissent totalement. Véritables courtisanes, elles jouissaient de privilèges en rapport avec leurs activités sexuelles auxquels les femmes mariées n’avaient pas accès.  
 Les grecs naturellement avaient leurs prostituées car la prostitution était une composante économique importante pour l’état. On attribue au pseudo Démosthène (IVème siècle avant JC), le classement des femmes en trois catégories : Les prostituées pour le plaisir, les concubines pour les soins de tous les jours et l’épouse, gardienne du foyer afin d'avoir une descendance légitime. Je ne suis pas certain que cette classification aujourd’hui serait approuvée non seulement par les féministes mais aussi par les femmes dans leur ensemble. Les grecs disposaient de maisons spéciales assimilées aux lupanars, les dicterions, voulus par Solon (640-558 avant JC) l’un des sept sages de l’antiquité, où l’on pouvait rencontrer femmes, enfants et jeunes hommes, tous esclaves. Oui, vous avez bien lu : enfants et jeunes hommes (pédérastie). Le prix d’une passe était dérisoire, une obole, ce qui permettait l’accès du lupanar aux plus pauvres ce qui satisfaisait les hygiénistes de l’époque.
 Dans "Les Adelphe", une pièce de Térence (190-159 av JC), l’auteur fait dire à l’un des personnages à propos des dicterions :« Toi, Solon, tu as fait là une loi d’utilité publique, car c’est toi qui, le premier, dit-on, compris la nécessité de cette institution démocratique et bienfaitrice, Zeus m'en est témoin ! Il est important que je dise cela. Notre ville fourmillait de pauvres garçons que la nature contraignait durement, si bien qu’ils s’égaraient sur des chemins néfastes : pour eux, tu as acheté, puis installé en divers endroits des femmes fort bien équipées et prêtes à l’emploi. […] Prix : une obole : laisse-toi faire ! Pas de chichis ! Tu en auras pour ton argent, comme tu veux et de la manière que tu veux. Tu sors. Dis-lui d'aller se faire voir ailleurs : elle n'est rien pour toi. »
  La religion chrétienne et ses prêtres mirent bon ordre dans tout ça. Finies les danses pour les déesses, fini le libre arbitre en matière de choix sexuel, fini la recherche du bonheur ! Paul de Tarse,(1) - Saint Paul-, (né au début du 1er siècle, mort vers 68/69) dans ses lettres pauliniennes, oppose vigoureusement l’esprit à la chair et déclare que la concupiscence est un péché qui éloigne de Dieu celui qui s’y adonne. Le péché de chair venait donc d’être inventé et comme toute « idéologie » qui se respecte, l’objectif était d’imposer un changement de société en agissant sur les mentalités et les moeurs. Dans le respect toutefois des lois et de l’autorité laïque : « Rendez à César (le gouvernement) ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu ».

La religion chrétienne et les prostituées :
  Eve, fut déclarée par l’église sexuellement perverse car coupable de la chute biblique d’Adam. Fort de ce principe, et en vertu des Écritures et de saint Paul, le clergé se donna pour mission de réglementer la copulation de ses ouailles. C’est ainsi que depuis l’origine de la chrétienté, et durant vingt-cinq conciles, l’église exigea de ses croyants la chasteté (la continence) avant le mariage, condamna le plaisir sexuel chez les couples mariés et interdit les positions du coït qui ne servaient pas uniquement à la reproduction. « Il faut seulement avoir des relations conjugales pour l’amour d’engendrer des enfants et non pour la luxure » (Bible hébraïque, Tobias-16-17-22) … Voilà pour la morale… Ce qui favorisa la prostitution car la prostituée était censée apporter au mari le plaisir que l’épouse lui refusait ; enfin pas toujours.
  En 503 le bréviaire d’Alaric roi des Wisigoth, un abrégé des lois romaines, et plus tard les lois de Justinien en 533, tout en déplorant la prostitution n’interdirent pas le proxénétisme mais le condamnèrent moralement. Charlemagne se montra extrêmement sévère pour les prostituées, sans ralentir la prostitution d'un iota. Au Moyen-Âge les viols étant courants car les jeunes gens, des étudiants juridiquement intouchables du fait du statut des universités, partaient en bande « chasser la garce » et se conduisaient comme des voyous auprès des femmes célibataires, veuves ou délaissées. C’est donc pour contrer ces abus que les autorités encouragèrent à leur tour la prostitution, aidés en cela par les seigneurs, protitution favorisée par les bons offices des religieux et religieuses. Au XIVème siècle, dans Paris, elles furent regroupées dans neuf rues. Paris comptait alors de 5 à 6000 prostituées avec corporation, réglement et sainte patronne : Sainte Madeleine. 
  L'incompatibilité
était flagrante entre la prostitution l’adultère ou le concubinage, ces deux derniers interdits par l’église. Ce dilemme fut résolu en admettant que le paiement de l’acte dédouanait le coupable. Comme le plaisir entre époux était condamné et puisque le mari se satisfaisait chez les ribaudes, l’épouse à son tour eut des amants. Amants ou simples prétendants suivant les codes de l’amour courtois. Au XIIème siècle, Guenièvre, reine et épouse du roi Arthur, a pour amant Lancelot du Lac d'après le "Le Chevalier de la charrette" poème de Chrétien de Troyes (1130/1190) -disponible sur ce site- qui révèle la liberté des moeurs de l'époque. Plus tard, mais dans le même esprit, madame de Rênal en 1830, mère de famille, (et cougar), prend son plaisir dans les bras du jeune Julien Sorel précepteur de ses enfants. (Stendhal : Le Rouge et le Noir.) Ce ne sont que des personnages de romans mais ils reflètent leur époque. Du XIIème siècle au XVème siècle la chrétienté admettra la prostitution comme un moindre mal et la prostituée figure sur les vitraux des cathédrales comme n'importe quel personnage, à Chartres en particulier.
  Au XIIème siècle, comme nous l’avons écrit plus haut, l’église et les autorités civiles, soucieuses de « bonheur et de tranquillité » organisèrent et règlementèrent la prostitution. Et au XIVème siècle en tirèrent un impôt qui enrichit villes et communautés religieuses, car les monastères et les chapitres avaient leurs lupanars. Dans les villes ce rôle était tenu par les Maisons de fillettes et les Maisons municipales de prostitution. Chaque candidate à la prostitution, devait jurer qu’elle était venue de son plein gré et promettre d’offrir de bons et loyaux services. Des fortunes se firent chez les tenanciers -bourgeois, clergé et seigneurs-, les cités s’enrichirent et institutionnalisèrent la chose. Tout le monde y trouvait son compte, même le pape Sixte IV y eut recours.
  Jeanne d’Arc, sans grand succès, voulut chasser les prostituées hors de son armée. « Si les soldats n’ont pas de femmes, ils abusent des hommes » écrivait un théologien. Ce que Jeanne devait ignorer, ou peut-être favoriser car selon les grecs les couples d’amants étaient les meilleurs au combat. Comment savoir, en dehors des pensionnaires des bordels, quelle femme est une prostituée occasionnelle ou habituelle ? Par le nombre des amants, répondirent certains théologiens. Ce qui les opposa à des magistrats plus tolérants qui ne voulaient pas mettre à la rue des femmes de « bonne moralité » qui fautaient plus souvent qu’à leur tour.

La santé des prostituées :
  Elles étaient censées ne pas pouvoir procréer. Les médecins de l’époque leur attribuaient un vagin trop élargi et encrassé, voire surchauffé, qui ne pouvait retenir la semence. Si l’accident arrivait malgré tout, les autorités prenaient soin de la mère et de l’enfant. Barbiers et matrones vérifiaient périodiquement la santé des filles, remplacés plus tard par un médecin officiel.

Et les courtisanes ?
 La courtisane n’est rien d’autre, sur le fond, qu’une prostituée de haut vol. Éduquée, lettrée, nombre d’écrivaines, poétesses, actrices et chanteuses furent courtisanes et ce jusqu’à nos jours. C’est le côté idéalisé de la prostitution mais qui cache surtout un amour de l’argent et des honneurs. Parmi les courtisanes célèbres citons Marguerite Steinheil, épouse d'un peintre, qui fut baptisée « La Pompe funèbre » à la suite de la mort de l’un de ses amants, le président de la république française Félix Faure(1841/1899), qu’elle envoya ad patres d’une fellation trop enlevée. Citons aussi au XVIIème siècle Marion Delorme, Ninon de Lenclos et au XIX et XXème siècle Liane de Pougy, La Païva, Marie Duplessis, Lola Montès etc. Ces femmes, comme l'héroïne de "La Dame aux camélias" d'Alexandre Dumas fils, inspiré par Marie Duplessis, préfigurèrent par leur mode de pensée et d'action la femme libre d’aujourd’hui en ce sens qu'elles ne s'encombraient pas de tabous ni
 d'une morale trop pesante.

La prostitution mise au ban :
  Le XVIIème siècle devrait-être baptisé « Le siècle des dévots et des Tartuffes » appellation plus conforme que  « Grand siècle » en raison des mouvements moraliste et religieux anti-prostitution et du resserrement des mœurs, hors de la cour s’entend. Un siècle où s’épanouirent des personnalités mystiques comme Blaise Pascal et saint François de Sale, où s’imposèrent les jansénistes austères de Port-Royal et les grands prédicateurs chrétiens comme Fénelon et Bossuet. Dans ce siècle les dévots s’opposaient aux libertins, ces derniers, des libres penseurs ébranlés par les guerres de religion, la condamnation à mort de Michel Servet et de Giordano Bruno par l’église, prônaient un refus des dogmes, en particulier religieux, et revendiquaient la liberté de conduire leur vie comme bon leur semblait. Cependant, déjà au siècle précédent les maisons publiques et la prostitution, commencèrent à être interdites en raison de la progression rapide de la syphilis, ou mal de Naples, ramenée d’Italie par les soldats. On soignait alors les patients atteint de ce mal dans les hôpitaux, mais pas les prostituées qui en étaient pourtant les vecteurs. Louis XIV mit en place une répression d’état qui devait coûte que coûte éradiquer la prostitution et arrêter la progression de la syphilis. La délation était au cœur de l’action policière qui procédait par rafles. Les jugements, parodiques, aboutissaient à des internements ou à l’exposition en place publique. On construisit à Paris un hôpital à l’emplacement d’un arsenal, la Salpêtrière, destiné aux mendiants et aux prostituées, véritable camp de concentration et de répression où elles étaient conduites en charrette infâmantes et le crâne rasé sous les huées de la rue.
  Les ordonnances royales de 1684 durcirent encore cette répression et la prostituée devint une criminelle et traitée comme telle. Les enfants, en particulier les jeunes filles qui s’adonnaient à la prostitution furent elles aussi internées à la Salpêtrière et les garçons de moins de 25 ans à Bicêtre. Plusieurs d’entre elles se firent religieuses, d’autres restèrent incarcérées ou furent déportées vers les colonies du Nouveau Monde. En province on construisit également des asiles -Les Dames Blanches à La Rochelle- tenues par des religieuses qui abritaient pour un temps plus ou moins long, les femmes infidèles, ou en concubinage, débauchées et prostituées qui étaient surveillées par des nones ayant fait voeux de chasteté. Nous sommes au siècle des lumières...
  Mais comme toujours, la prostitution survécu dans des bordels plus ou moins clandestins et dans la rue. Pour passer inaperçues les filles s’habillaient comme les femmes du monde et se mêlaient à la foule sur la place Royale ou aux Tuileries, draguant toutefois sans se cacher ; la police exigeait sa part du trafic pour fermer les yeux. Ce qui bien entendu n’arrêta pas la progression des maladies sexuellement transmissibles.(Voir en dernière page la note de service du général Dubail). À l'hôpital, pour tout soin on se contentait de fouetter une fois par jour les malades parce qu’ils, ou elles, avaient péché.
(1) Ou ses disciples car toutes les lettres ne sont pas de son fait.

à suivre,