Jean-Bernard Papi, romancier, essayiste, nouvelliste et poète

                                        Il n'y a de recette de jouvence que le rire.
                       Partageons nos plaisirs. Vous lisez ! J'écris !      
                                                                                             

                                                                  

              Sur la torture en Algérie.

  Essai sur la violence militaire à l'encontre de la population civile à partir des livres "Contre la torture" de Pierre-Henri Simon et "La Question" d'Henri Alleg.



 Pierre-Henri Simon (1903-1972)                                                        
                                                                                                                                                                                           
                                                                                                              
    Après avoir écrit "La Chanson de Rosalie" dont une grande partie se déroule en Algérie de1959 à 1962. Puis "Cheval d'enfer" l'histoire d'un pilote de chase français capturé par les fellaghas durant la guerre d'Algérie. Ensuite  "Céline, jusqu’au dernier jour " (édition du Croît Vif) où, faut-il le préciser Céline est une jeune femme, laquelle verra son mari et son père fusillés, après une attente angoissante de six heures dans un cabanon où ils sont tenus prisonniers par les hommes de la division SS Das Reich en 1944. Après ces livres je me suis tourné vers l’analyse plus générale « des contacts violents entre la force armée et les civils en temps de guerre ». Avec son "Contre la torture" Le seuil 1957(c à d : Contre la torture en Algérie),  Pierre Henri Simon (1), (1903-1972) académicien, moraliste et romancier  m'est apparu comme le type même de l'intellectuel pris entre deux forces contraires. La première, le Droit, qui définit la vie comme sacrée et auquel il adhère, et la Force, ici la force militaire légale qui ne néglige rien pour parvenir à ses fins. Embarqué dans une tempête intemporelle,  il paiera cher sa prise de position assez unique à l'époque, du moins dans la manière.
   Mis à part des actes quasi anonymes comme les bombardements aériens, la canonnade ou  lorsque les civils sont par nécessité au cœur de la bataille, les « contacts violents » entre soldats et population civile en temps de guerre se situent presque toujours dans l’action policière. En particulier lorsqu’il y a recherche de renseignements. Dans cette courte étude je me limiterai à une guerre récente, et symbolique, celle d’Algérie entrée aujourd’hui dans l’histoire comme cas d’école puisque la torture, dans l'épisode qui fut appelé "La bataille d’Alger", y fut largement pratiquée.
  Au préalable, il me faut revisiter et anlyser cette intervention militaire, qualifiée au départ par le gouvernement français de policière et de maintien de l'ordre. Plus tard, elle sera requalifiée en « action de guerre ». Je vais tenter aussi de deviner les motivations et l’état d’esprit de certains combattants devenus célèbres à divers titres et souvent à leur corps défendant, tout en sachant bien qu’une étude approfondie exigerait un gros livre et d’innombrables heures de travail pour une équipe de plusieurs personnes. Je ne pouvais, à cette occasion, que me frotter à une partie du milieu intellectuel français de cette époque, et en particulier à Pierre-Henri Simon qui fut à la pointe du combat pour la défense de la dignité des soldats et plus largement de la dignité humaine, du moins ce qu'il considérait comme telle. Sans faire d'angélisme il est pratiquement prouvé -et même les inquisiteurs du moyen âge le savaient-, que la torture n'est pas le meilleur moyen pour obtenir des renseignements fiables. Notons au passage que les inquisiteurs se fichaient comme du quart d'obtenir des renseignements fiables, leurs actions ne visaient qu'à renforcer l'autorité de l'église par la terreur.

 

Rappelons les faits.

  Après le premier attentat en novembre 1954 attribué à la branche armée du Mouvement de libération national algérienceux que l’on nommera plus tard fellaghas (de fellag : bandit de grand chemin), la riposte appelée « Opération de maintien de l’ordre » débute officiellement lorsque le gouvernement d’Edgar Faure en métropole, décrète l’état d’urgence le 3 avril 1955.  Le 11 mars 1956, l’Assemblée nationale accorde les pouvoirs spéciaux au nouveau gouvernement Guy Mollet afin de régler au mieux l’insurrection algérienne. Rappelons, c’est important, que « les évènements d’Algérie », comme ils furent nommés alors pudiquement dans la presse, surviennent après que la France se soit, en mai 1954, retirée d’Indochine, vaincue par les unités communistes du Vietminh. De nombreux soldats et officiers français, environ 3000, furent retenus prisonniers des camps vietminh, en particulier du camp 113 où officiait comme adjoint au directeur du camp, le commissaire politique Georges Boudarel, français et communiste fanatique chargé de "l'éducation" des prisonniers. Ils y vécurent des mois de souffrances, quand ils survécurent. À son retour en France, Georges Boudarel ne fut jamais inquiété par les autorités françaises et termina une carrière universitaire sans anicroches. On peut penser qu'à la suite, les militaires ne portèrent pas les communistes dans leur coeur. 
  Après cette défaite, le colonel Trinquier, auteur prolifiques d’ouvrages stratégiques comme La guerre moderne (1961.La Table ronde) les officiers Lacheroy et Hogard, inspirateurs de l’École stratégique française de la guerre contre-révolutionnaire, élaborent une doctrine de combat. Elle a pour but de lutter contre les guérilléros, francs-tireurs et partisans. Analysant la guerre révolutionnaire qui fut pratiquée en Indochine par le Vietminh, ils en déduisent qu’elle comporte quatre grandes phases :
- 1ère phaseUne période de paix incluant la préparation à la lutte (clandestine). 
- 2ème phaseUne phase de terrorisme local et violent destiné à terrifier les populations
- 3ème phaseUne phase de guérilla ouverte avec la complicité et le contrôle des populations soumises selon le concept « du soldat parmi la population comme un poisson dans l’eau » de Mao Tsé-toung (Citations du président Mao Tsé-toung. In Le Petit livre rouge)
- 4ème phaseEnfin une phase de mise en place d’une organisation politique et administrative clandestine et la formation aux frontières d’une armée régulière.
 (Notons que la phase 2 : le terrorisme pour terrifier les populations, semble bien être la technique employée par les islamistes, en ce début du XXI ème siècle, au moins dans les capitales européennes, Londres, Paris, Madrid etc. Avec des succès divers car on ne domine et on n'effraie pas aisément des populations qui jouissent d'un réel bonheur terrestre en leur proposant, en échange, une félicité céleste post mortem. La même chanson millénariste à d'ailleurs été jouée en son temps par Jésus avec le royaume de son père. À l'évidence le procédé échoue si la population se montre courageuse et refuse de céder à la terreur. La phase 3, de guerrilla ouverte semble en préparation dans les quartiers dits sensibles des grandes villes françaises.)
 1958 bataille d'Alger soldats Français  en patrouille
  Pour contrer la phase de terrorisme - 2ème phase- et avant que ne se déclenche la 3ème phase, ces officiers préconisent :
  - Le renseignement tous azimuts à obtenir par la torture si besoin est.
 - Des actions contre la population supposée acquise à l'ennemi : Disparitions forcées, quadrillage des quartiers permettant un maillage et une surveillance de la population ; pratique d'une forme de responsabilité collective (Les parents payent pour toute action terroriste des enfants), des patrouilles « surprises et inopinées ».
  - Le retournement de prisonniers qui infiltreront ensuite les unités ennemies et renseigneront. Dans le cas de l’ALN (armée de libération nationale algérienne) cette infiltration provoquera avec le  temps des purges sévères.
  Le plan Challe prône le regroupement de la population dans des camps pour couper le FLN, l’organe politique de l'armée de libération algérienne, de ses bases. La doctrine française, qui sera étudiée aux Etats-Unis et en Amérique du Sud, au fil du temps se teintera d’une nuance dite "nationale catholique" qui insistera d’une part sur l’importance de l’idéologie dans la riposte -on doit savoir sous quelle bannière on se bat-, et d’autre part sur l’utilisation de la psychologie dans les rapports avec l’ennemi.
   Le 7 janvier 1957, soit 3 ans après le début d’une insurrection qui a pris de l’ampleur, le ministre résident en Algérie, Robert Lacoste remet les 
pouvoirs de police pour la ville d'Alger au Général Massu commandant la 10e division parachutiste (10ème DP). Ce dernier applique alors sur le terrain les principes de la guerre contre-révolutionnaire cités plus haut. La torture est généralisée. Elle est en premier lieu pratiquée sur les communistes locaux -expérience d’Indochine oblige-, lesquels soutiennent et participent activement au mouvement insurrectionnel au côté de l'ALN. Lequel ALN n’est pas non plus exempt de méthodes similaires en pratiquant des attentats aveugles et nombreux, destinés comme on l’a vu (2ème phase) à terroriser la population urbaine.
  Le 12 juin la 10e DP arrête Henri Alleg, de son vrai nom Harry Salem, ex directeur du journal « Alger républicain » porte parole du parti communiste en Algérie, parti interdit depuis 1955. Henri Alleg, alors dans la clandestinité, est arrêté dans Alger au domicile de son ami Maurice Audin (3). Il est torturé pendant un mois par les officiers de renseignement de la 10e DP (Commandant  Aussaresse), lesquels, pour identifier les membres de son réseau d’aide à l’insurrection, utiliseront d’abondance les coups, l’électricité produite par une dynamo utilisée pour alimenter le téléphone de campagne (la gégène), le Penthotal, l’asphyxie "à la limite" par immersion dans l’eau, sans résultat. Après son transfert d’El Biar dans le centre de rétention de Lodi, ensuite dans la prison civile d’Alger, Henri Alleg parvient à écrire et à faire passer aux Éditions de Minuit le manuscrit de La  Q
uestion qui relate sa détention.
  La torture existait déjà en Afrique du Nord depuis la colonisation du pays et en particulier durant les campagnes du général Bugeaud. Il s’agissait de terrifier les populations, briser des grèves ou faire rapidement aboutir des affaires de droit commun. Interdite en 1949 par le Gouverneur général Naegelen, la police n’en a cure. En 1951 un article du journal l’Observateur en fait mention et Albert Camus dans une lettre du 26 décembre 1951 s’en émeut : « S’il est possible un seul instant de soupçonner qu’ils (les membres d’une organisation affiliée au Mouvement pour la démocratie de Messali Hadj (4)) aient pu être victimes de détention arbitraire ou de sévices graves… il nous faut souhaiter que la justice de notre pays refuse de sanctionner des actes si intolérables soient-ils (ceux commis par les accusés)… »
  Au cours de cette année 1957  Pierre-Henri Simon fait paraître aux éditions du Seuil, un pamphlet violent intitulé « Contre la torture ». « L’intérêt national, écrit-il, serait finalement mieux servi, dans les circonstances présentes, par cette fidélité (à certains principes de droit et à certaines règles moralesque par la conversion à un immoralisme brutal qui correspond mal à la vocation historique de la France. Par cette conversion, ceux contre qui nous nous battons sont moins terrorisés qu’exaspérés.» Et plus loin « de quel droit me reprocherait-on de rappeler à l’armée, et précisément à l’armée coloniale, la tradition de Gallieni (5) et de Lyautey… » Et encore :   « Même si la torture d’un Arabe était payante, je dirais encore qu’elle est criminelle, qu’elle est intolérable comme une tache à l’honneur, et mortelle au sens où l’on dit qu’un péché est mortel : quelque chose de plus essentiel que la puissance s’en trouve atteint et détruit ; une défaite plus intime et plus irréparable que la destruction d’une armée est subie à jamais.» (Contre la torture, Pages 121 et 122.) 
  Dans ce pamphlet, Pierre-Henri Simon développe longuement, avec passion et lyrisme,  une vision quelque peu chevaleresque et passéiste de l’armée appelant à la rescousse Vauvenargues, Péguy, Michelet. Il le fait aussi parfois d’une manière confuse admettant (p 67) par exemple, que la police peut, dans certains cas, faire preuve de violence licite. Naturellement, il méconnaît les théories militaires en vigueur sur l'action contre-révolutionnaire. En rappelant l’armée à ses devoirs et à son honneur, il se fait aussi l’ennemi de ceux qui la prétendent pure et surtout intouchable. « On ne critique pas l’armée (en se plaçant) du dehors » écrira-t-il lui même plus tard dans son livre « Portrait d’un officier ». Jusqu’à sa mort il subira la vindicte de certains éléments incontrôlables, bousculades, crachats et menaces, et même profanation de sa tombe. Le préfet Michel Massenet, gendre d’un avocat saintongeais, (Pierre-Henri Simon est natif de Saintonge) publiera "Contre poison ou la morale en Algérie" (Grasset 1957) qui minimise fortement la réalité de la torture.
  Il subit aussi les foudres d’une partie de la presse de droite qui crie au complot d’intellectuel (pages 133 et suivantes de Contre la Torture) et le FLN utilise son pamphlet pour se justifier. François Mitterrand alors Garde des Sceaux interviendra pour qu’il ne soit pas révoqué de l'Education nationale alors que le français Georges Boudarel, ayant torturé des soldats français (voir plus haut), devenu professeur en université ne sera jamais inquiété. Tout cela n’empêchera pas P-H Simon d’être reçu à l’Académie française en 1968 au fauteuil de Daniel-Rops. Il reconnaîtra dans son discours de réception « avoir une notoriété discrète traversée de quelques fougasses d’humeur ». Un précédent pamphlet paru en 1936, intitulé « Les catholiques, la politique et l’argent » en témoigne avec verdeur. Fougasses (6) qui s’exerceront  à l’intérieur de son système de pensée où coexistent l’église, le monde moderne et la littérature.
  « Au nom de l’humanismedit de lui André Roussin dans son discours de réception à l’Académie française le 2 mai 1974 (il occupera le fauteuil de Pierre-Henri Simon après le décès de ce dernier), il refusa la philosophie communiste et pour lui « Lénine venait de Marx, de l’industrie lourde et du rationalisme du XIXe, mais non pas de Dostoïevski et du mysticisme slave ». Pourtant, continue Roussin, sur une grave question de notre époque, lui le libéral, rejoignit la gauche : Il prit violemment parti contre la torture dans un courageux pamphlet publié en 1957. Pour les communistes, dénoncer la torture pendant la guerre d’Algérie, c’était renforcer par un argument de poids leur lutte antimilitariste. P-H. Simon, lui, dénonçait et condamnait la torture au nom de l’honneur de l’armée. Et curieusement ce fut dans cette défense qu’il la choqua. Officier lui-même, il avait porté l’uniforme pendant six ans (guerre de 1939-1945), noué des amitiés en captivité avec nombre de militaires et il aimait l’armée. Il se dressa contre elle et ses amis quand ceux-ci pratiquèrent la torture comme arme « inévitable » de la guerre contre des formations subversives. Il estima que son devoir de moraliste était ici de dire où résidait le droit. Fidèle à sa nature c’est à l’intérieur d’un système qu’il s’opposait à celui-ci quand l’esprit de justice était en cause. Pour reprendre l'expression de Francis Jeanson c’est contre les « pentes inhumaines de l’histoire » qu’il voulait réagir, estimant que le rôle et l’honneur de l’homme sont d’y résister. »
  
à suivre,