Jean-Bernard Papi, romancier, essayiste, nouvelliste et poète

                                                La littérature est un art de combat.  
              Croquis des saisons et des voyages


            Les voyages
2ème partie



           VII

             
 D'infinis tunnels traversiers
nous enveloppaient de nuits utérines
en une seconde nos mémoires
réveillaient les lointains clichés
des grandes terreurs enfantines.
 
Certains revivaient leur histoire
et tous les drames à la fois.
Pour d'autres c'était un paradis perdu
un regret vague d'autrefois.
  
Mais dès qu'au loin apparaissait
le jour si rond si blanc si nu
c'était comme une poignante amputation
qui nous laissait pour longtemps hébétés.
 
Et l'oeil de nos compagnons
nous renvoyait la morne réalité.
                                    
               
               VIII


 Nous vous lisions, bien sûr, et pardon
pour ces petits mensonges
quand nous cachions alors vos songes
sous d'insipides cartons
qui faisaient croire
à Delhy ou Guy des Cars.
 
Et puis ensuite, par la fenêtre
chers maîtres
Marx, Aragon et Mao
nous vous jetions dans les ruisseaux.
 
                       
               IX

 Quels océans avons-nous frôlés ?
Quels lacs ont baigné nos images ?
                       
Nous glissions sur des ciels abstraits
entre d'insaisissables mouettes
et d'étranges nuages.
 
Volant de crêtes en crêtes
sur des arches filées
où s'enroulaient les vents
nous regardions alors sous nos pieds
s'emperler de vapeurs les grands fleuves opulents.
                       
De lentes crémaillères et de puissants agrès
nous hissaient en grinçant
dans des couloirs de grès
plus sinistres et sanglants
que des champs de bataille
vers des neiges si hautes
que l'on criait bravo à ces hommes du rail
aussi grands, aussi beaux que tous les astronautes.
 
 
                      X

Des forêts traversées comme des catacombes
nous ouvraient un chemin bien plus droit
que les rangs de cyprès dressés entre les tombes.
                       
Nous regardions alors les yeux emplis d'effroi
les cadavres pendus aux branches des mélèzes
le sang qui dégouttait encore sur les rochers
les canons fracassés, en bas sur les granits
et les soldats mourant, là-haut sur les falaises.
 
Nous allions au-delà. Nous ne pouvions rester
nous courions aux frontières
où crèvent les lichens et où gèlent les pierres,
vers ces terres plus mortes qu'un cœur d'aérolithe.
                             


 à suivre,