Jean-Bernard Papi, romancier, essayiste, nouvelliste et poète

                                                La littérature est un art de combat.  

                       
                                     
Les provinciales.

                                           Teresa et ses fantasmes.

                                            
                                                                                                                           
                           
  

   

   Teresa vient tous les ans à Royan, un mois durant l’été. Au mois d’août précisément. Cela fait huit ans qu’elle vient. Elle loue toujours dans le même quartier de Pontaillac et cela fait trois ans qu’elle loue la villa « Bon Air » à cinq minutes à pied de la plage. Teresa affirme qu’elle se contente de peu et qu’elle n’aime pas le changement c’est pourquoi elle a choisi une fois pour toute de venir en vacances ici et n’envisage pas d’aller ailleurs. Son mari est d’accord, de toute façon, jamais il ne la contrarie. Mais il y a une autre raison, qu’elle n’avouerait pour rien au monde. Il y a un homme qu’elle retrouve tous les ans. Ce n’est pas qu’elle n’aime pas son mari, bien au contraire. Elle possède un mari parfait, beau et intelligent. Elle s’estime comblée ou presque. Mais il y aussi l’autre.
   En posant le pied pour la première fois de la saison sur la plage, bien avant de planter son parasol tout neuf et de déposer les jouets de son fils, elle a jeté un coup d’œil dans sa direction. Il se met toujours au même endroit depuis des années, comme elle. Occupé par son fils, son mari, comme d’habitude, ne s’est rendu compte de rien tant elle est discrète. Il est là, comme tous les ans, installé sur une serviette orange. Même si tout s’est passé en un quart de seconde, il lui a délivré un message muet, naturellement, épais comme une bible. « D’une année sur l’autre, tu es toujours aussi belle Térésa, mais quand viendras-tu enfin seule que nous puissions faire connaissance et bavarder. Je ne connais de toi que le prénom et le corps, si beau, si délié, si femme. Tu sais depuis combien de temps j’ai envie de te prendre dans mes bras, de te caresser… »
   Un frisson délicieux picote alors la nuque de Teresa. Elle n’a jamais trompé son mari mais avec cet homme, il lui semble que la chose serait possible et même nécessaire. Il est toujours seul, étendu aux deux tiers de la plage, à la limite de la marée montante, de l’estran comme disent les pêcheurs. Sa serviette de bain est orange aujourd’hui, parfois c’est une serviette bleue, ou encore une blanche avec des motifs multicolores et il est toujours orienté dans sa direction de façon à ne jamais la quitter des yeux. Comme tout le monde, et comme lui, elle s’installe dans un petit espace virtuel qu’elle retrouve d’une année sur l’autre. Malheureusement pour cet homme, et pour eux deux, elle ne vient jamais seule mais toujours avec Pierre, son mari. Même quand il se rend chez le dentiste, il faut l’accompagner. Et puis il y a l’enfant. La première année quand Térésa est venue à Royan elle était enceinte. Belle et enceinte.
   Plusieurs fois elle a suggéré à Pierre d’aller jouer à la pétanque avec les mordus qui glapissent de l’autre côté du casino, derrière le parking. Peine perdue, il préfère rester près d’elle. Et puis que feraient-ils, l’inconnu et elle ? Mais, par exemple, ils se baigneraient à quelques mètres l’un de l’autre, il la frôlerait en nageant. Toucherait peut-être sa main, mine de rien. Elle ferait bien attention à ce que son fils ne s’aperçoive pas de leur manège. Il lui toucherait peut-être même les hanches ou les seins sous l’eau. Il y a tant de baigneurs que cela est tout à fait possible. Peut-être même ses cuisses, fines et musclées, dont elle est fière, ou même ses fesses qu’elle a magnifiques, rondes et fermes. Ou son minou. Elle ferme les yeux et se laisse aller dans son fauteuil de plage. Elle se sent humide, brusquement ; pourvu qu’elle ne mouille pas la culotte de son maillot de bain. Elle entend à peine son mari qui l’avertit qu’il va se baigner. Pauvre chéri, s’il pouvait couler à pic. Elle sursaute devant l’énormité de ce vœu et fébrile le cherche des yeux tandis qu’il marche le plus tranquillement du monde vers la mer.
  Elle frôle le regard de l’autre et c’est comme s’il l’embrassait sur la bouche. C’est tous les ans ainsi, depuis huit ans et pendant un mois. Elle ne lui a jamais adressé la parole, il n’a jamais dit un mot. Ils se regardent, c’est tout, pendant tout le temps où ils sont sur la plage. C'est-à-dire, pour elle, de onze à treize heures et de seize à dix-neuf. Il est là avant qu’elle n’arrive et il part après elle. Parfois elle s’allonge sur sa natte de raphia pour sentir son regard sur ses fesses où sur son sexe, entre ses jambes fines et dorées qu’elle s’amuse à ouvrir, rien que pour lui. Parfois bien que son mari n’apprécie pas elle enlève son soutien-gorge et expose sa poitrine menue à son regard. Elle sent alors passer sur ses seins comme un vent très chaud. Elle le fait quand son mari va se baigner, dès qu’elle le voit sortir de l’eau elle reprend une pose plus décente. Parfois le regard insistant de l’homme et les poses sensuelles qu’elle prend l’amènent au bord de l’orgasme. Quand son mari peut surveiller leur fils, elle part vers l’eau à son tour. Il n’est pas rare alors qu’elle s’arrête près de lui une seconde ou deux, de l’air de quelqu’un qui hésite ou qui cherche à se souvenir de quelque chose. Elle passe un doigt dans l’échancrure de sa culotte de maillot de bain, à l’aine. Elle fait jouer l’élasticité du tissu, il a alors la vision de son pubis aux poils bruns, drus, fournis et doux comme de la laine d’agneau. Parfois elle se tourne vers lui et s’ils sont seuls et si son mari est occupé avec le gamin, lui en montre un peu plus, son clitoris ou un bout de fesse. Cela l’excite terriblement et quand ils rejoignent leur villa, elle file se masturber dans la salle de bains.
   L’autre matin elle a cru le reconnaître dans l'homme qui venait juste de s’installer avec sa famille dans la maison voisine. Elle est allée, en faisant attention que son mari ne la voie pas, le regarder sous le nez avant de s’apercevoir de sa méprise. Le voisin a pris cela très simplement, avec le sourire, mais il a voulu savoir. Alors Teresa qui avait envie de se libérer lui a raconté qu’elle l’avait pris pour un autre en lui faisant jurer de garder cela pour lui. Le lendemain le voisin s’est arrangé pour rentrer en même temps qu’eux. Il a lié conversation avec son mari et ils se sont trouvé de nombreux points communs, en particulier celui d’habiter dans le même arrondissement de Paris. Et puis un soir qu’elle avait des courses à faire, au retour le voisin l’attendait.
  – J’ai observé votre manège avec l’inconnu sur sa serviette orange, lui a-t-il dit tout de go. Elle s’est mise à trembler et n’a su que répondre à cette attaque directe et sans fioritures. Je sais ce qui vous passe par la tête, a-t-il continué, cette envie inassouvie, brûlante. L’aventure…Je suis psychologue de métier. Puis il l’a entraîné dans son garage sans qu’elle oppose la moindre résistance. Prestement il a troussé sa robe légère et écarté sa petite culotte. Le sexe de Teresa était si humide qu’il a sauté les préliminaires et l’a pénétrée d’un coup, violemment, la baisant à grandes jetées de reins. Elle a joui avec une violence et une intensité qu’elle ignorait jusqu’alors. Perdue, bousculée, à cet instant, elle ne savait plus qui lui faisait l’amour, son mari, le voisin ou l’inconnu. Et cela a duré des heures ; en réalité deux minutes, mais elle a gardé sa verge dans son sexe toute la soirée, chaude et énorme.
   Le lendemain elle retrouve l’inconnu comme d’habitude sur sa serviette orange, son mari fait un château de sable avec son fils et le voisin est reparti pour Paris, rappelé en urgence. Elle se plante alors près de la serviette orange de l’air d’hésiter à rentrer dans l’eau.
    – Merci pour hier au soir, murmure-t-elle en glissant un doigt dans la culotte de son maillot.
   À la fin de ses vacances, le dernier jour sera un jour ordinaire, comme d’habitude, simplement elle pensera à l’inconnu de la plage pendant le reste de l’année en se disant que peut-être l’été prochain ils pourront faire l’amour de nouveau. 

  Jean-Bernard Papi   © 

à suivre,