Jean-Bernard Papi, romancier, essayiste, nouvelliste et poète

                                                La littérature est un art de combat.  
                                                             Les provinciales. 
                                              


                        Elle court (2ème partie)






  On a appliqué sur toutes ses plaies un baume à la délicieuse odeur de violette. Elle est à demi étendue sur une bergère et porte de nouveau sa tunique ou une similaire. Elle se ressent à peine des coups de fouet et des morsures. Sa cape est posée près d’elle avec une enveloppe.
L’enveloppe indique : Ruelle de l’Hospice, numéro 30 à 5 heures 15. Elle butte sur les racines qui parsèment le chemin de terre et titubant, comme mal réveillée, elle traverse le parc. Finalement il est plutôt mal entretenu, se dit-elle, malgré les statues qui font illusion. Tout de même, elle doit se hâter. Quelques bars commencent à ouvrir et l’on croise des  hommes et des femmes qui se rendent à leur travail. Elle remonte l’avenue en courant, tourne devant la banque de France, traverse la longue place où se tient d’habitude le marché, quelques marchands de légumes sont déjà installés, elle plonge dans la ruelle de l’Hospice. Difficile à grimper en raison de sa pente excessive, c’est un jeu d’enfant de la descendre.
  Le numéro 30 est une masure lépreuse aux volets de guingois et aux peintures écaillées. Elle frappe. Un homme nu et masqué d’un loup ouvre et sans dire un mot se jette à ses pieds, écarte la cape, soulève la tunique et plonge son visage entre ses cuisses. Une langue experte chatouille son clitoris jusqu’à ce qu’elle ressente les premiers frissons de la jouissance. Elle ne voudrait pas qu’il s’arrête et s’efforce de le retenir mais l’homme se redresse, la déshabille entièrement et la prenant par la main, la conduit dans une chambre.
   La chambre est violemment éclairée et des hommes, une dizaine, affublés d’un masque représentant le mufle d’un animal, tous différents, vêtus de la même salopette de mécanicien que la gouine de tout à l’heure, sont assis sur des chaises autour d’un divan étroit. Les amis des bêtes, pense-t-elle. Elle ne croit pas si bien dire. L’homme la pousse vers le divan et lui fait comprendre qu’elle doit s’y étendre. Elle remarque, ce qu’elle n’avait pas observé tout à l’heure avec la lesbienne, que les salopettes comportent un grand nombre d’ouvertures permettant d’accéder à tous les endroits du corps. Une fois étendue elle suppose que chaque homme va venir s’assouvir en elle et satisfaire ses caprices. Mais aucun ne se lève. L’assemblée est muette et figée.
De temps en temps les visages masqués se tournent vers une porte, sous un escalier. Ils attendent quelqu’un, se dit-elle, Paul peut-être qui va enfin la délivrer et lui permettre de rentrer à la maison. Ils partiront ensuite se reposer dans l’île Maurice, comme il y a trois ans.
  La porte s’ouvre et une vieille femme, sorte de catin court vêtue, fripée et maquillée à outrance, entre en tenant en laisse un énorme chien, genre berger des Pyrénées. Il est presque haut comme un âne, avec un mufle aussi impressionnant que celui d’un lion. Elle guide le chien vers le divan. L’animal s’étend entre les cuisses de la jeune femme et lui lèche le sexe et les fesses avec la virtuosité d’un homme. Mieux que Paul, pense-t-elle effarée. La vieille s’est armée d’une longue cravache, les spectateurs tendent le cou. Elle devine.
  - Non, gémit-elle, pas ça.
  - Caresse le chien, suce-le, ordonne la vieille et pour montrer que l’ordre est exécutoire immédiatement et qu’elle se moque de ses dénégations, elle lui cravache les seins, par deux fois.    Comme dans un état second elle se glisse sous l’énorme animal et prend le sexe déjà rigide dans sa bouche. Le chien grogne de plaisir et écarte ses pattes pour que la longue tige rosée, aussi grosse qu’un poignet d’enfant, puisse tenir tout entier dans la bouche de la jeune femme.
  Les spectateurs se sont rapprochés et certains flattent le dos de l’animal par petites tapes. D’autres, penchés vers elle se sont emparés de ses seins et les massent tendrement comme pour effacer les balafres de la cravache. Estimant le temps des préliminaires suffisant, la vieille enfile des sortes de bottons d’enfant aux pattes de devant du chien et lui donne un ordre, une série d’onomatopées, puis de la cravache exige que la jeune femme se mette à quatre pattes. Alors le chien pose ses pattes avant sur son dos et la pénètre avec des couinements de jouissance. Durant plusieurs minutes, les spectateurs sont suspendus aux mouvements du chien, à ses coups de reins.
Sous cette masse pesante, douce et chaude elle sent un plaisir étrange monter de son ventre, comme si elle se masturbait. À sa grande honte et sans pouvoir se retenir elle jouit d’un orgasme qui la secoue comme un spasme. Le chien comme s’il attendait ce signal après un couinement de plaisir se retire sous les cris et les applaudissements, non sans l’avoir inondée de semence. Elle n’a pas eu le loisir de regarder autour d’elle pendant que le chien la baisait mais en se redressant elle repères des traces de masturbation sur les salopettes
  6 heures 30. D’après ce qui est écrit sur le bristol, dans l’enveloppe, elle doit se rendre dans l’hôtel « Victor Hugo », au cœur de la ville. Une chambre lui est réservée. Inutile de courir c’est à deux pas. Une fois rendue, elle se dénude, son bain est prêt. Quelqu’un - Paul ?- a placé dans la salle de bain les parfums qu’elle aime et sa trousse de maquillage. Des vêtements propres à sa taille et selon ses goûts ont été posés à plat sur le lit. Elle doit descendre dès qu’elle sera prête. Mais elle a le temps de se reposer un peu et de prendre une collation.
  Allongée sur le lit elle pense au Grec qui doit repartir chez lui. Comment était-il ? Grand ? Mince ? En tout cas il était tendre. Elle téléphone à la concierge de l’hôtel. « Pour vous rendre en Grèce, comment feriez-vous ? » La préposée a un rire bref. «  Comme ça tout de suite ? » 
  - Oui tout de suite.  Elle entend le cliquetis d’un clavier d’ordinateur.
  - Je prendrais le bus d’Euroline à 9 heures, il va jusqu’à Bucarest, ensuite il vous faudra prendre le train ou un avion pour la Grèce, répond la concierge.
  Elle fouille dans le sac à main posé près des vêtements, son passeport et sa carte bancaire sont là. La carte bancaire, disait son père, c’est le moyen le plus simple pour escroquer quelqu’un, il suffit de savoir lire. Son père, elle s’en souvient aimait la Grèce et par dessus tout la Crète. Elle a gardé ses chaussures plates. Elle descend.
  Tout de suite elle remarque que Germont, Chovan et Theulet sont installés dans les fauteuils du hall. Paul est avec eux. Ils se lèvent à son arrivée. Elle ressent, à cet instant, une répulsion, un dégoût qui lui rempli la bouche d’amertume.
  - Ma voiture vous attend dit Germont, j’espère que maintenant vous trouverez du plaisir en notre compagnie. Tous rient et Paul le premier.
  - Mais certainement, répond-elle. Auparavant j’ai besoin de respirer un peu d’air frais. Accordez-moi cinq minutes.
  - Autant que vous voudrez ma chère, dit Chovan.
Il est neuf heures moins quatre. Elle court. La gare routière n’est pas loin. La banque est en face. La Grèce ou un autre pays, elle s’en fout.

Jean-Bernard Papi ©