Il se posait, comme tout le monde, en ennemi de la violence et des corridas. Bien sûr, il se bagarrait souvent contre les forces de l'ordre mais jamais avec des armes à feu. Pas encore. Enfin un semblant de calme revint dans son corps. Il découvrit alors que l’une des balles l’avait atteint au mollet, une entaille d’un centimètre de profondeur et longue de six ou sept qui saignait. Il défit son cache-nez pour l’enrouler autour de son mollet blessé. Il entendit comme des pas dans son dos, à l’autre bout du tunnel. On venait vers lui. Le tueur certainement s’avançait pour l’achever. Il se remit sur ses jambes et douleur ou pas, sang ou pas, trottina jusqu’à l’escalier censé déboucher sur la sortie. Il devait soigner sa blessure ; la gare avait certainement une infirmerie, un premier secours. Un peu avant d’atteindre l’escalier, il entendit de nouveau le pop dans son dos. Il poussa un couinement de lapin pris au piège et se baissa sans cesser de courir. La balle se logea dans le plafond. Sous le choc un long tube d’éclairage se décrocha et tomba par terre en explosant. Il crut à une grenade lacrymogène et poussa un hurlement aigu qui résonna dans le tunnel.
diplômes, c’était trop facile il suffisait de patienter et de bosser, mais en arrangeant la vie collective pour que les bons, dont il était, aient la meilleure part du gâteau. Pour cela il fallait une révolution. Elle n’était pas loin, il la voyait se poindre à l’horizon comme un soleil resplendissant chargé de bonheur. Il saisirait alors sa chance. Après tout Lénine, ou Babeuf, ou Marat n’étaient rien ou pas grand chose avant que la révolution ne les porte au pouvoir.
Où aller maintenant ? S’il restait là, le tireur allait le flinguer de nouveau. Il se jeta derrière un pilier de fer et rentra la tête dans les épaules mais rien ne se passa. D’un coup d’œil circulaire, il s’assura que personne ne rôdait. Les quais étaient vides. Il se rendit compte que sa casquette était restée dans le souterrain. Tant pis. Plus loin, une porte céda, il s’y engouffra et referma à clef derrière lui. Il se trouvait dans les toilettes de la gare. Il arracha l’essuie-main de son rouleau et en fit des bandes larges d’une dizaine de centimètres. Un essuie-main cradingue comme s’il avait servi à décrasser les locomotives. Mais tant pis, de toute façon tout était sale ici, le sol, les murs, et les lavabos. D’un peu d’eau il nettoya sa plaie, puis il enroula une bande sur son mollet et fit une attache convenable. Il n’était pas secouriste pour rien ; son seul diplôme après son bac. Il jeta son cache-nez imbibé de sang dans une poubelle pleine à craquer de détritus dont au moins un kilo de pommes pourries.