Jean-Bernard Papi, romancier, essayiste, nouvelliste et poète

                                                La littérature est un art de combat.  
Edition-Autoedition et lecture (suite) 


    Saluons, frères écrivains qui peinez sur ce banc de galère si particulier qu'est la littérature française, le joli conte de fée que voici présenté par The Observer (Britanique) comme "le premier évènement littéraire du millénaire"  en 1999. Rien que ça ! Ce n’est pas chez nous, malgré Guez de Balzac, que l'on cultiverait ainsi l'hyperbole ! L'évènement en question est provoqué par une demoiselle de 24 ans laquelle, après avoir envisagé de devenir danseuse de claquettes, s'est finalement décidée à entrer au collège de Cambridge, ce qui de vous à moi est tout de même moins drôle que de danser avec ou sans claquettes. Cette demoiselle du nom de Zadie Smith, retenez bien son nom, est précoce, -moins tout de même que ne le fut Françoise Sagan en son temps- puisqu'elle a écrit un roman "White Teeth" (éditions Hamish Hamilton) qui a été, cramponnez-vous bien à votre fauteuil si vous êtes émotif, encensé par Salman Rushdie soi-même et en personne. Mais bof ! tout ça ressemblerait fort au marketing du "Truisme" de Darrieusseq ou à "La carte et le territoire" de Houellebecq. Mais il y a eu, l'inimaginable générosité de son éditeur : À la lecture des 80 premiers feuillets, Hamish Hamilton a décidé de lui remettre 250 000 livres. Environ trois-cent mille euros. Vous avez bien lu et je ne suis pas fou, 250.000 livres ! Ce n'est d'ailleurs pas un cas isolé car c'est la règle générale dans les pays Anglo-saxon. Des à-valoir sur les recettes, sont ainsi versées à des auteurs qui montent, comme Arundhati Roy et quelques autres Zadie Smith. Le record étant détenu par l'Anglais Peter Ackroyd avec une avance d'un million de dollars. Des critiques dénoncent d'ailleurs "l'aura douteuse de ces gros à-valoir" (sic). C'est entendu, le potentiel de lecteurs parlant anglais est très élevé et tout le monde n'est pas Zadie Smith ou Peter Ackroyd, mais tout de même quel pactole !
   Disons-le tout net, ce n'est pas avec l'exception culturelle française qu'une chose pareille serait arrivée. Dans notre pays où l'on vénère les serviteurs pauvres mais honnêtes et autre mythes lénifiants et cathos, l'écrivain débutant est forcément à l'image du sous-lieutenant : famélique et hâve. Ah, grandeur et noblesse de la misère ! Tandis que la digne épouse en haillons couvre de ses bras maigres ses marmots affamés qui têtent un sein flasque et vide, l'écrivain de génie, ses manuscrits sous le bras, s'en va courageusement en veston troué et sans chaussettes par zéro degré, sonner chez les éditeurs (1). Les éditeurs de chez nous, je ne citerais pas de noms, auraient proposé à une Zadie française un petit 10 % sur les bouquins vendus. Naturellement, pour une débutante, même sortie de Cambridge, ils auraient tiré entre 1 000 et 10 000 exemplaires. Supposons 1€ pour l’auteur et par bouquin, ce qui lui aurait rapporté de 1000 à 10.000 € ceci dans le cas d'un succès planétaire. C'est quand même peu pour vivre, même frugalement. Peut-être auraient-ils fait une avance sur cette somme, peut-être auraient-ils ajouté une petite prime ? Peut-être, sans doute même ! car il n'y a pas de raison, en France également nous avons des gens de talent et des éditeurs généreux (sic). 
   C'est vrai aussi que le temps travaille pour notre auteur français et son livre peut perdurer pendant des dizaines d'années encore, se voir décerner des prix littéraires bien de chez nous, et surfer, comme on dit, sur le succès... Dans le cas contraire l'éditeur continuera à vendre en puisant dans le stock jusqu'au jour maudit du pilon. Entre temps, il aura peut-être trouvé refuge dans une collection "De poche" où, survivant sur du papier recyclé, il ne rapportera plus guère que des fifrelins à son auteur. Notre écrivain français donc, à moins d'être rentier ou soutenu par des parents fortunés, devra donc pondre un second "évènement littéraire du millénaire" et rapidement.    Rapidement ! Le vilain mot pour quelqu'un qui a la foi dans son oeuvre littéraire, qui lit et relit, corrige et recorrige ; quelque chose comme l'un des sept péchés capitaux. À moins qu’il trouve un travail honnête et normalement rétribué, lecteur ou directeur de collection dans une grande maison d'édition. À moins qu’il choisisse l’écriture vénale et le métier de "nègre" ou journaliste pigiste, le résultat sera le même dès lors qu'il lui faudra travailler pour l'immédiat, et gagner son pain quotidien à la sueur de son front pour tout dire. Relire et corriger ? Bof. Plus question de se consacrer totalement à son œuvre comme Zadie Smith. Car, la littérature est exigeante par-dessus le marché, elle vous suce jusqu'à la moelle et ne vous laisse pas un instant de répit. Vous lui devez tout. Alors, notre auteur écrira pendant ses vacances des textes de haute tenue, qu'il jugera inachevés ou avortés ; poussé aux fesses par la nécessité, il bâclera tout, le livre, le travail, sa vie personnelle, ses loisirs etc. Pendant ce temps Zadie Smith, tranquillement et sans se soucier du matériel, aura un an devant elle au moins pour mener à bien son second bouquin qui sera ce qu'il sera, mais elle n'aura pas de regrets en cas d'échec ; à moins d'être une feignasse et une dépensière de moins que rien. Mais d'échec point, portée qu'elle sera par le succès du premier bouquin, celui du millénaire.
    Le livre de Zadie étant payé, l'éditeur en fera ce qu'il veut, il peut même en faire des cornets à pop-corn si ça lui chante. Bien entendu s'il n'est pas idiot, il fera en sorte de rentrer au moins dans ses fonds. Notre écrivain français, si son livre échappe à l'oubli le plus crasse, et au pilon, continuera à toucher un petit chèque, d'une cinquantaine d'euros une fois l'an (en avril), selon les ventes. Je vous laisse imaginer la dèche. En cas de décès ce seront ses ayants droit qui continueront à encaisser la rente ou le pactole ; dans le meilleur des cas ses enfants, son père, sa mère, dans le pire ce sera un lointain neveu ou cousine nunuche et ce, pendant soixante ans, plus les années de guerre avant qu'il ne tombe dans le domaine public. Durant ces soixante années, il faudra obtenir du fils, du neveu, de la cousine ou de je ne sais qui, les autorisations de citations, monnayables, et leur avis autorisé dans le cadre d'études sur l'auteur, biographies etc. Pendant que notre français travaille pour la postérité, nos écervelés d'écrivains anglo-saxons, qui n'ont rien à cirer de l'aisance de leurs descendants, continuent ignoblement à dilapider leurs sous en Californie, en Floride, sur la côte d'Azur et même dans les îles Caraïbes, les vauriens.
   C'est ça l'exception culturelle française ! Comment peut-on être surpris de voir une littérature anglo-saxonne brillante envahir nos librairies et parallèlement s'étonner de la fadeur de notre propre littérature dite commerciale, laquelle s'exporte plutôt mal, sauf peut-être en Afrique francophone. Certes, on me fera remarquer qu'aux Etats-Unis par exemple il est impossible de trouver un éditeur qui accepte le manuscrit d'un aimable dilettante moyennement original et moyennement bien écrit sur un sujet moyennement intéressant, comme on en trouve flopée chez nous...
   Combien d'écrivains, de musiciens -pensez à Ravel et à son Boléro qui sert de rente au fils ou petit fils de sa femme de ménage- alimentent ainsi d’illustres inconnus qui se gobergent à leur santé, si l'on peut dire ? Mais la volonté de transmettre un patrimoine fait partie de notre culture et est solidement implantée dans nos chromosomes, autant que le gène de la duplicité chez nos grands éditeurs qui n'hésitent pas à trouver normal que l'état subventionne la poésie, par exemple. Ne serait-ce au cours de cette manifestation monstre appelée Printemps des poètes (2). Ce qui revient tout bonnement à leur apporter une aide financière indirecte, à moins que l'on me démontre que la poésie n'appartient plus au domaine de l'édition. Quelles sont les prises de risque pour nos éditeurs ? L'éditeur Français est-il soumis à plus d'aléas que son homologue Anglais ou Etasunien ? En général, si entre 0% et 1% du prix du bouquin sont promis à l'auteur en cas de succès, 66 % sont offert au diffuseur qui se charge de régler les libraires (33%). Il reste 23 à 24 % à l'éditeur qui doit aussi payer l’imprimeur, ce qui l’incite à rogner encore sur la somme dévolue à l’auteur.  Lequel souvent ne touche rien. Croyez-moi, à tort ou à raison, notre exception nationale comprise sous l'angle de l'édition n'est pas prête de disparaître. Maintenant on peut toujours rêver et parodier le titre d'un autre "événement littéraire du millénaire" vendu à Hollywood, mazette ! dont on a entendu la réclame passer sur plusieurs  stations de radio réputées pendant un bon mois : Et si c’était vrai ? de Levy. Et si un jour être écrivain, être poète même, devenait un métier qui permette de vivre décemment ? À propos de poésie, il en est qui croient encore en elle, voyez le site : revues.lacavelittéraire.fr qui collectionne les revues poétiques -3680- à toutes fins utiles.
  
 Le manque d'imagination chez les auteurs français est flagrant. Sur une histoire locale, ou une géographie régionale, étudiée jusque dans ses moindres détails depuis des siècles, combien de livres sortent chaque année ? Une bonne dizaine. C'est le moyen, sûr et presque sans effort, de se faire un nom. Le siège de La Rochelle (par Richelieu) inspire au moins deux livres nouveaux chaque année. Les légendes locales, celles concernant Mélusine en particulier, sont réinventées au gré de la mode. Même si elles se recoupent et se copient d'une province à l'autre quand l’auteur ne fait pas d’incursion dans le folklore étranger, chez Naredin Hojda par exemple, un Turc (?). Il n'est pas de minuscule village, dont le lavoir représente le monument identitaire, qui n'ait sa monographie, mise à jour périodiquement. Recherche d'identité forte de la part des autochtones en mal de nationalisme disent certains. À moins que ce soit la recherche du profit ou de la notoriété de la part d'éditeurs et d’auteurs malins.
    Notons,  par parenthèses, que c'est la fiction ou l'histoire, qui agit en général comme catalyseur du nationalisme régional et jamais la poésie, trop personnelle, trop cosmopolite. Dommage pour les poètes, même en écrivant dans une langue vernaculaire ou en patois comme j'en connais, je doute qu'ils atteignent un jour un lectorat important, en dehors de quelques mordus. Car c'est ainsi, même indirectement que la poésie paye les pots cassés. Si trop de recueils médiocres ont tué la curiosité et le goût de la découverte chez le lecteur on peut ajouter que la poésie est si mal payée qu'il faut être inconscient ou vouloir mettre sa famille sur la paille pour se lancer à écrire un seul vers. Personne n'en achète, se plaignent les éditeurs. À qui la faute ? Aux choix de ces mêmes éditeurs. - "Tu veux être édité Coco ? Alors fais moi des vers les plus obscurs possibles, comme ça on croira que t'es intelligent !"  Les lecteurs français ne sont pas plus idiots que d'autres, peut-être sont-ils plus rationnels, moins portés sur le chimérique mais sans plus. Aux Etats-Unis, en Angleterre et en général chez les anglo-saxons, les poètes vont bien et quelques exceptions peuvent même vivre de leurs écrits voyez l'Irlandais Seamus Heaney. Voyez le quotidien britanique "The Indépendant" qui publie un poème chaque jours, ou cette télé américaine ( Le Point n° 1177) où on lit des poèmes à l'antenne.
   En France, la poésie est dans un tel état qu'il faut une semaine annuelle de promotion (voir ci-dessous sur le Printemps des poètes) et les subventions du ministère de la culture pour tenter de la ressusciter et pour que, malgré tout, quelques textes intéressants ne retournent pas au néant. Ce qui renforce encore, hélas, le caractère d'amateurisme dont elle est entachée dans l'esprit des lecteurs français. Les poètes ont d'ailleurs leurs propres parts de responsabilité. Par exemple, il est dommage que tant de nouveaux poètes, souvent après très peu de temps de probation, veuillent se faire éditer à tout prix alors qu'ils rechignent à s'abonner et à participer à une revue. Laquelle, tout compte fait touche plus de monde et est tout aussi valorisante que le recueil personnel. Chacun sait aussi qu'il faut laisser mûrir l'oeuvre, que le temps doit faire son travail, féconder comme on dit chez l'alchimiste... Enfin, bref, la poèsie est l'affaire des gens expérimentés et âgés, disait Hegel.
    Un jeudi de mars pluvieux, il me semble, j’écoutais sur Europe n°1 l’éditeur Bernard Fixot qui racontait sa vie d’éditeur parisien à Jacques Chancel, journaliste. Rien de très surprenant dans ses confidences sauf cette phrase : « Lorsque nous étions jeunes, dit Bernard Fixot, pour nous, un bon livre était un livre que nous ne comprenions pas ». « Et aujourd’hui ? » questionne le journaliste. « Par bonheur les choses ont bien changé, répond Fixot. » À la bonne heure ! Sauf en poésie. J’ai sous les yeux la prose dite poétique de Pascal Commère : « Prévision de passage d’un dix cors au lieu dit Goulet du Maquis (pourquoi une majuscule à maquis ?) paru aux éditions Obsidiane en 2006. J’ignore si les éditions Obsidiane ont les reins solides au point de publier l’illisible et l’obscur, mais je doute qu’elles atteignent le porte monnaie de ce que l’on appelle, avec dédain dans le milieu des poètes de haut lignage, un lectorat populaire et que moi je nomme lectorat tout court. Je ne vous infligerai pas la totalité du pensum. Même un gars comme moi rompu à toutes les turpitudes refuse de taper plus que quelques lignes d’un semblable charabia. À moins qu’il s’agisse d’une grosse farce des Obsidiane et de Commère, auquel cas je dis : Alors là bravo ! Vous nous avez bien couillonné avec votre galimatias. En deux mots dites-nous, c’était une recette de cuisine tapée par un Chimpanzé ? (Pourquoi mettre une majuscule à chimpanzé ?) Un texte codé par une machine Enigma de la dernière guerre ? Un rébus pour masochiste en manque de fouet ? Non ? Alors c’est quoi ça !  Ça ne vous regarde pas m’a-t-il été répondu, c’est de la prose poétique et ça a le droit de vivre comme les mouches, les violeurs et les chiens. Bon calmons-nous, j’ai dit, il me faut l’autre partie du bouquin, celle du code que je n’ai pas, c’est tout. Faites excuse aussi devant mes questions mal venues, car mes neurones sont partis à la pêche. Je fais donc appel à vous, lecteur du lectorat moyen, et je vous livre l’une des multiples phrases d’un langage « réinventé ». Réinvention aux formes si multiples que l’on peut à la limite se passer de langage et revenir au son brut, au tamtam ou au triangle (pour les mélomanes). Réinvention infiniment plus aisée à manier que la langue toute pure, toute naturelle du Français pur jus. Attention, ici je n'attaque pas l'écriture inclusive et les pronoms neutres, car à cette mélasse le seul mot de Cambronne convient. Je ne vais pas m’engager sur une définition de la poésie, mais sachez que mon goût va vers une simplicité propre à toucher mes sentiments et mon entendement.  Bon, voici le texte, notez-le bien, je ne recommencerai pas :« Que vienne à passer la méchante gilet croisé sur vie de femme, telle pluie froide tout juste qui dérange au nid une portée de nains nés avant terme. » Et ça continue comme ça sur des pages et des pages…
                                                               
 Jean-Bernard Papi, ©  1999/2015/2020
 
(1) Le rapport Racine (de Bruno Racine) de janvier 2020 destiné au ministre de la culture fait le point sur les difficultés financières des auteurs-concepteurs et créateurs en tous genre sans proposer de remèdes efficaces à leur misère sauf à se constituer en syndicat (sic). Il ne remet pas en cause le prix du livre ou la répartition du prix de vente et pas non plus l'exception culturelle française.  
(2) La première édition du printemps des poètes en 1999 à provoqué 2502 initiatives réparties dans 387 villes de France dont 13 dans les DOM TOM et 34 villes étrangères. Ces initiatives se répartissaient en 44 actions au niveau des universités, 112 dans les théâtres, 158 dans les associations (Notez que les associations font plus pour la poésie que l'Université), 156 dans les bibliothèques, 64 dans les centres culturels. En outre 239 spectacles (cafés, rues, forums, colloques etc) ont été montés autour de la poésie. CF : Document "Le printemps des poètes" édité par l'association chargée de promouvoir l'évènement, 65 rue de Pixérecourt 75020 Paris. Note du 13/01/2000.  
                                                 

                                                                                 

 
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