Jean-Bernard Papi, romancier, essayiste, nouvelliste et poète

                                        Il n'y a de recette de jouvence que le rire.
                       Partageons nos plaisirs. Vous lisez ! J'écris !      
 
   Chacun a ses motivations, les miennes étaient comme ça, pas plus étayées, pas plus solides. Mais qui interroger maintenant, à qui demander un avis ? Autour de moi les voyageurs s'empressaient et me bousculaient sans me voir. A l'annonce de mon départ, père, mère, oncles, tantes, avaient haussé les épaules et levé les yeux au ciel, considérant qu'il s'agissait là d'une nouvelle et passagère lubie, que mon retour ne se ferait pas attendre... 
  Dédoublé, je m'observais, indécis et figé comme un acteur perdu dans son texte, sonné par ce décor brutal et peu hospitalier, par ses odeurs pénétrantes et le brouhaha continuel des voyageurs. L'ensorcellement cessa soudain. Je me mis à tanguer sur mes jambes ankylosées, brutalement réveillé par des chocs de wagons heurtés. Un train, derrière moi, s'enfuyait.
  Je me suis alors avancé d'un pas et le groupe s'est refermé. Des mains m'ont saisi. On m'a tapé dans le dos, on m'a poussé, on m'a tiré. J'étais désormais agglutiné à cet essaim qui bourdonnait furieusement. C'est alors que l'on posa une toute petite valise verte près de la mienne.
  Un visage de peau et d'os, d'une vilaine couleur tabac, s'afficha devant moi. Exactement celui de la pathétique momie exhibée dans la fête foraine du quartier Saint-Roch, un cadavre desséché d'Inca qui portait sur son visage les stigmates d'une douleur mystérieuse. Le gros crâne pointu et bosselé de l'inconnu, ses orbites creusées et sombres accentuaient encore l'horrible ressemblance.
  Puis il m'a souri, sans dire un mot, un vrai sourire confiant qu'un regard brun-doré accompagnait. Celui-là ne cherchait pas à m'avaler tout cru. A mieux l'observer, je finis par trouver que son nez aquilin, sa bouche sinueuse et charnue, ses cheveux châtains collés en mèches sur son front bombé et ses dents larges et solides lui dessinaient plutôt la physionomie décidée et intelligente du Jules César en plâtre de mon lycée. Il était maigre ce César, ficelé comme un premier communiant dans un costume de flanelle grise trop juste. Sa poignée de main fut ferme et sèche.
  - Alexandre Sitlinsky, se présenta-t-il, mais tout le monde m'appelle Sandri. Je viens de Pau.

à suivre
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