Dans la lucarne.

  Tout le monde ou presque connait l’histoire de « la lucarne d’Evry », permettez-moi cependant de la rappeler car elle est porteuse de joie et de fierté. Donc, à Evry, au sud de Paris et dans une cité d’HLM sensible (1) existe une lucarne de 43 cm de côté, à 2 mètres de hauteur découpée sur le mur d’un local dévolu aux poubelles. Existent aussi les deux frères Sissoko, Malamine (Mala) et Gay qui, en 2019, s’évertuaient d’un coup de pied à faire passer un ballon de foot par la fameuse lucarne. Le tir devait être courbe et devait être tiré en se plaçant sur le trottoir opposé à 12 mètres de distance environ. En gros, avec pas mal d’imagination, il s’agissait, comme sur un terrain de football, de réussir un pénalty imparable. Une difficulté inouïe que surmonta pourtant Gay d’un coup de pied magistral. Diffusé sur les réseaux sociaux l’exploit attira plusieurs jeunes qui tentèrent de réussir le pénalty à leur tour. Taux de réussite zéro, ce qui n’empêcha pas d’insister tant et si bien que la municipalité, alertée par les habitants, construisit un mur sur un terrain de jeux voisin avec la fameuse lucarne à 2 mètres. Un Lascaux du foot.
   Depuis l’affaire a pris de l’ampleur et un tournois annuel de tir de précision, organisé par Mala et son ami Souli Konaté, a lieu désormais dans cette cité d’Evry. Cette année, après sélection des finalistes dans toute la France, ils étaient trente-neuf adultes et adolescents, filles et garçons, à se retrouver devant la lucarne le dernier week-end des vacances d’été. Chaque candidat avait droit à huit coups de pied. « La cible est minuscule et les murs qui l’entourent sont uniformes ce qui joue des tours au cerveau. Même une petite erreur de perspective peut entrainer un échec » commente une coach sportif spécialisée en performances visuelles (2).
  En fin d’après-midi il ne restait plus en lice que Zinedine 14 ans et Ismaël 13 ans. Après moult essais, seul Ismaël parvient à loger une fois le ballon dans la lucarne. Depuis plusieurs jours Zinedine faisait la navette en RER entre chez lui et Evry pour s’entrainer et Ismaël est un « local » qui s’est entrainé tout l’été. « La réussite est liée à la persévérance et dans un entraînement régulier » dit Souli Konaté. Ismaël, le vainqueur du tournois est devenu un véritable héros dans le quartier.
  Comme autour de n’importe quel sport, avec peu de moyens, un ballon, et beaucoup de volonté et d’obstination chez les joueurs, la lucarne fait vibrer d’enthousiasme à Evry et sur les réseaux sociaux. Le secret de cette réussite sociale ? Le dévouement de Mala et ses amis, la complicité d’une municipalité et la difficulté de l’exercice qui sélectionne durement les candidats, comme dans la vraie vie oserai-je dire, mais qui ne rebute pas, bien au contraire, car sa complexité est si bien masquée que tout le monde se croit capable de réussir. Avec en plus un peu de chance quand même.
  Je suis persuadé que Mala et ses amis espèrent secrètement qu’un jour un joueur professionnel viendra tester la lucarne pour s’entrainer au tir de précision. Ce serait pour eux non seulement la concrétisation d’un fol espoir mais aussi une juste récompense. (3)
Jean-Bernard Papi ©
 
(1) Cité sensible : Comme on la qualifie trop souvent ; une cité sensible c’est une cité exagérément sentimentale qui pleure sur les malheurs de la « La Porteuse de pain », en écoutant la chanson « Les roses blanches » chantée par Berthe Sylva ou à la lecture du discours de Robert Badinter pour l’abrogation de la peine de mort… Je me trompe ?
(2) Voir l’article complet dans Courrier International n° 1821 du 25 sept 2025.
(3) Pour avoir vécu une partie de mon adolescence dans une cité d’HLM à Angoulême, la cité Bel Air, je me souviens que les distractions n’étaient guères courantes. C’est nous, les jeunes, qui provoquions les adultes dans des parties de foot pendant les vacances, qui organisions des spectacles pour les enfants et les plus grands, comme cette noce villageoise qui fut un franc succès ou le week-end musical durant lequel nombre d’habitants découvrirent le jazz et le rock. À cette époque nous aurions aimés être récompensés de ce labeur …

Partagez sur les réseaux sociaux

Commentaires :