Jean-Bernard Papi, romancier, essayiste, nouvelliste et poète

                                                La littérature est un art de combat.  

Les chèvres des Corbières

Jeudi 18 Mai 2023
Les chèvres des Corbières
 (Non Alexis cela ne te concerne pas).
 
 
 
  Mon voisin aime les animaux. Hélas ! ses chats, des crevards affamés, envahissent la rue et ses chattes font autant de petits que la nature le permet. Prenant mon courage à deux mains je lui demande pourquoi il ne tue pas les chatons à leur naissance, j’ai cru qu’il allait tomber dans les pommes. « Vous n’y pensez pas, pour moi c’est un crime et je suis incapable de ça, même écraser un moustique m’est insupportable. » « Faites stériliser vos femelles alors. » « Monsieur, je laisse la nature agir, elle seule peut réguler ma petite population. » C’est maintenant la pensée à la mode, la nature d’abord et le reste après.
   C’est le genre de propos qui m’insupporte et me fait grincer des dents presque autant que les petits gars de Carglass à la télé (Carglass m'agace!). Vous trouvez que j’exagère ? Que ce sont des cas particuliers ? Ouvrons Courrier International (1) du 16 mai et allons à Saint André de Roquelongue (Aude) chez Valérie Corbeaux locataire d’un domaine de 680 ha de garrigues. Cette dame, célibataire de 55 ans est chevrière, donc elle élève des chèvres ?  Pas tout à fait. Elle a lâché ses chèvres dans son domaine, les a laissé se reproduire sans contrôle au point qu’elle ne sait plus combien elle en possède, 500 avance-t-elle ; 600 probables précise le directeur régional de l’ONF (2). Née à Paris, directrice d’une société de logiciel Valérie Corbeaux trentenaire a décidé de tout plaquer pour aller vivre en province, là où il y a du soleil (et du vent), où les gens sont gentils, où la nature est belle où l'on est proche du bon sauvage etc. Elle a commencé avec deux chevreaux… Est-ce pour les vendre, pour leur lait ou faire du fromage ? Vous n’y êtes pas, c’est pour que ses biquettes soient heureuses tout simplement, qu’elles copulent en toute liberté avec la bande de boucs qui les accompagnent ; mai 68 dans la garrigue ! Le hic c’est pour casser la croûte, alors tout ce petit monde visite les voisins, les vignes, les vergers et possède si je puis dire un solide coup de fourchette. Nous sommes dans les Corbières et le vin représente la richesse locale. Vous exprimer l’exaspération des vignerons je ne peux, mais pensez à Carglass ou à Aymeric Caron et son végan et multipliez par cent.
  Certains veulent s’armer et à entrer en guerre, d’autres espèrent dans la justice, trois audiences sont prévues à la suite de plaintes vigneronnes. Comme d’habitude en France il y a les pour (les urbains et les militants de la cause animale 46000 signature lors d’une pétition) : les chèvres nettoient la garrigue et il n’y a plus d’incendie, disent-ils avec mauvaise foi. J’ignorais qu’elles faisaient fuir les incendiaires mais passons. Il y a les contre, c’est-à-dire tous les autres : non contentes de grignoter ici ou là les bourgeons de Sauvignon et les jeunes pousses de fruitiers, chèvres et boucs devenus sauvages se pavanent sur les routes au risque de provoquer des accidents.
  Cela a émue Brigitte Bardot. Sa fondation a payé (40.000 €) une clôture de 160 ha afin d’y loger le troupeau. Mais c’est trop peu d’espace et pas assez de nourriture. Impossible de compter sur « la lumière divine » pour s’alimenter comme les barjos qui pratiquent le jeune absolu -voir à ce sujet les 200 morts du Kenya-, les chèvres et les boucs ne sont pas croyants. En attendant que la justice se prononce, laissons la parole à Valérie Corbeaux : « Mes boucs je les aime. Je ne crois pas que l’on ait le droit d’en faire ce que l’on veut -ni de les tuer, ni de les castrer. On leur doit plus de respect que ça. »
  C’est vrai, nous avons tous inconsciemment le regret du paradis perdu, lorsque les animaux s’ébattaient en liberté dans de vertes prairies et que l’homme, végan jusqu’à la moelle, se nourrissait de graines et d’eau fraîche. Hélas tout est faux dans cette vision mal enseignée et mal comprise. La guerre pour la survie est intense, même à Clochemerle dans l’Aude.  
(1) Traduit d’un article de Catherine Porter paru dans le New York Times.
(2) Elles seraient 1300 au dernier recensement.
 
Jean-Bernard Papi ©

 

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